Au sein des exercices ORION, la coopération hélicoptères-drones s’impose : capteurs démultipliés, liaisons de données, cas d’usage concrets et perspectives industrielles.
Le contexte opérationnel et doctrinal
La coopération entre hélicoptères et drones s’impose comme un pilier des opérations modernes. Elle répond à un impératif simple : multiplier les capteurs sans augmenter la signature des plateformes habitées, tout en réduisant le risque humain. En France, cette logique est testée à grande échelle dans les exercices interarmées ORION, conçus pour simuler un engagement de haute intensité. L’édition 2023 a mobilisé un volume inédit de moyens avec des dizaines d’hélicoptères engagés aux côtés de plusieurs dizaines de drones sur une zone terrestre étendue. Au-delà de l’ampleur, c’est la mise en réseau de ces moyens qui marque une inflexion doctrinale : le renseignement, l’acquisition d’objectifs et l’appui sont pensés comme une chaîne continue, des micro-drones à l’hélicoptère d’attaque, en passant par les systèmes tactiques et navals. Cette manned-unmanned teaming (MUM-T) vise à densifier la bulle de situation tactique tout en désynchronisant les effets (capteurs en l’air, effets au sol ou depuis un aéronef habité).
Le principe « manned-unmanned teaming » expliqué
Le MUM-T consiste à faire coopérer une plateforme habitée (hélicoptère) avec un ou plusieurs systèmes télé-opérés ou autonomes (drones) via des liaisons de données et des interfaces de mission dédiées. Les fonctions typiques sont : exploration d’itinéraires, détection et identification au-delà du relief, reconnaissance d’objectifs, guidage d’armes (désignation laser ou calcul de coordonnées), évaluation des dégâts et relais de communications. L’intérêt est double. D’abord, décorréler exposition et effet : le drone s’expose, l’hélicoptère reste masqué. Ensuite, partager la même image tactique en temps réel avec la chaîne de commandement. Côté équipage, cela suppose des interfaces cockpit adaptées pour piloter la mission drone, afficher la vidéo et injecter les détections dans le système d’armes sans surcharger la charge cognitive.
Les moyens engagés en France aujourd’hui
Le spectre français couvre du micro-drone organique au drone aérien tactique, jusqu’aux systèmes embarqués à la mer.
- Micro-drones de section. L’Armée de Terre déploie les Novadem NX70 (≈ 1,0 kg, 2,2 lb ; endurance typique ≈ 45 min), robustes, compacts et utilisés en opérations extérieures. Ils fournissent une imagerie optronique stabilisée de proximité, utile en zone urbaine ou boisée.
- SMDR de nouvelle génération. Le Spy’Ranger 330 de Thales équipe le Système de mini-drone de renseignement (SMDR). Conçu pour le palier 2–30 km, il apporte une meilleure portée et une meilleure qualité d’image pour les missions ISR depuis l’échelon sub-brigade.
- Drones quadricoptères durcis. Le Parrot ANAFI USA (batteries de 32 min, zoom ×32 optique/numérique, capteurs thermiques) est utilisé pour le renseignement court rayon et l’échange vidéo immédiat avec les groupes de combat.
- Drone tactique Patroller de Safran. Avec 20–30 h d’endurance et 250 kg de charge utile (poches en bouts d’ailes incluses), il fournit un ISR de théâtre, à des vitesses de croisière 150–170 km/h (80–90 kt) et un rayon ligne de vue ≈ 200 km (LoS), avec options de relais.
- Drones navals. En mer, la Marine nationale met en service les SMDM Aliaca (≈ 16 kg, 3 h d’autonomie, 50 km de rayon) catapultés et récupérés au filet, tandis que le SDAM (démonstrateur VSR700) a validé décollages/atterrissages autonomes depuis une frégate. Ces systèmes complètent l’hélicoptère embarqué pour étirer la bulle de détection.
Face à eux, côté hélicoptères : Tigre modernisé (standard RMV), NH90 Caïman, et H160M Guépard en essais en vol en 2025. Ce dernier doit devenir la plateforme légère commune des trois armées. Son architecture de mission (avionique Thales, capteurs Euroflir 410 et radar AirMaster C en X) et sa connectivité en font un candidat naturel au pilotage de charges utiles et de drones depuis le cockpit.
Les architectures techniques et liaisons de données
La clé du MUM-T réside dans l’interopérabilité. Côté Terre, l’intégration au SICS (système d’information du combat Scorpion) et aux radios CONTACT permet d’injecter flux vidéo, pistes et coordonnées dans le réseau tactique. Côté Air/Mer, liaisons protégées, AESA compacts et IA embarquée (détection d’anomalies, priorisation de pistes) stabilisent la boucle. Les équipages d’hélicoptères disposent d’écrans dédiés à l’exploitation drone (ex. afficheur de 17 pouces qualifié sur des appareils d’essai), d’un contrôle basique (pointage, modes capteur) et d’une commande étendue selon les niveaux MUM-T (de la simple réception vidéo jusqu’au contrôle de mission). L’ensemble vise à réduire la latence entre détection drone et effet déclenché par l’hélicoptère (roquettes guidées 68 mm, canon, missile antichar) ou par une plateforme tierce.
Les entreprises impliquées et leur rôle
- Airbus Helicopters : maître d’œuvre des hélicoptères (H160M, NH90, Tigre) et du drone naval VSR700/SDAM avec Naval Group ; Survey Copter (filiale Airbus) produit l’Aliaca pour la Marine.
- Safran : drone Patroller, boules optroniques Euroflir, moteurs Arrano (H160M).
- Thales : avionique de mission, radar AirMaster C, système Spy’Ranger (SMDR) et liaisons de données tactiques.
- Naval Group : intégration SDAM à bord des frégates (pont, système de mission).
- Novadem : micro-drones NX70, couplés à des chaînes d’armes pour tirs au-delà de la vue directe.
- Parrot : ANAFI USA, capteurs EO/IR, diffusion sécurisée vers la manœuvre.
- MBDA : chaînes BLOS (LynkEUs) et intégration désignation drone → tir missile (famille Akeron/MMP).
Cet écosystème national structure une offre cohérente, du capteur au tireur, compatible avec une montée en cadence industrielle.
Les cas d’usage opérationnels déjà validés
Plusieurs scénarios représentatifs sont désormais éprouvés.
- Ouverture d’itinéraire pour hélicoptères. Un micro-drone lève le doute sur une crête, identifie une embuscade MANPADS ; l’hélicoptère décale sa trajectoire et engage à distance de sécurité.
- Désignation d’objectif « BLOS ». Un NX70 détecte un char masqué ; les coordonnées sont transmises à une équipe Akeron MP ou à un hélicoptère qui délivre une roquette guidée.
- Appui anti-navire littoral. Depuis une frégate, un Aliaca étire la détection à 50 km (27 nm) ; l’hélicoptère embarqué arrive déjà renseigné, réduit le temps d’exposition et verrouille son effet.
- ISR de théâtre. Le Patroller tisse la trame ISR longue durée ; les hélicoptères exploitent ses pistes pour entrer/sortir rapidement de la zone chaude.
- SAR/CSAR. Les drones balisent la zone, géolocalisent des survivants par thermographie, l’hélicoptère hélitreuille en restant à l’abri des menaces détectées.
Les bénéfices chiffrés et mesurables
L’effet majeur est la réduction du temps capteur-tireur. Entre une détection drone courte portée et la délivrance d’un effet par hélicoptère, les boucles passent sous la minute quand les liaisons et formats de messages sont harmonisés. L’extension de la bulle de détection est tangible : un Aliaca ajoute 50 km (27 nm) de portée au-delà du radar de mât d’un bâtiment ; en terrestre, un SMDR couvre jusqu’à 30 km, contre quelques kilomètres pour les micro-drones. Côté endurance, la persistence du Patroller à 20–30 h permet de chaîner plusieurs raids d’hélicoptères sur une même fenêtre météo. Enfin, la diminution de l’exposition des équipages est documentée : le drone franchit le dernier relief, l’hélicoptère reste en masque ou stand-off, limitant la vulnérabilité aux SHORAD et MANPADS.
Les limites, risques et défis à lever
Trois familles de risques dominent. D’abord, la gestion du spectre : guerre électronique adverse, brouillage GNSS, saturation de bandes. Des liaisons redondées, des modems agiles et des modes dégradés (inertiel, suivi de terrain) sont indispensables. Ensuite, la charge cognitive équipage : piloter un vecteur, exploiter des flux et conduire l’armement nécessite des interfaces sobres, une automatisation contextuelle et des procédures claires de délégation (niveaux MUM-T). Enfin, l’interopérabilité : formats vidéo, métadonnées, taxonomies cibles et cybersécurité doivent être alignés entre armées et alliés. À cela s’ajoutent la sécurité des vols (déconfliction drone/hélico, altimétrie, IFR), la logistique (météo, batteries, catapultes/navettes en mer) et le coût de possession des flottes multi-capteurs.
Les perspectives industrielles et commerciales
La trajectoire est claire. Côté plateformes, le H160M Guépard va consolider l’architecture MUM-T avec un radar AESA AirMaster C compact et des interfaces de mission évolutives. Côté Marine, le VSR700/SDAM ouvre la voie à un binôme hélicoptère-drone standardisé sur frégates, complété par le SMDM pour la proximité. Côté Terre, l’association SMDR + micro-drones au profit de l’ALAT et des groupements interarmes va s’industrialiser : packs MUM-T mêlant radios, passerelles vidéo, calculateurs d’objectifs et IA embarquée pour prioriser les alertes. Pour l’export, l’argumentaire combine réduction du risque, gain de tempo et compatibilité OTAN. Des marchés structurés émergent : kits MUM-T pour hélicoptères existants (Tigre, H145M), systèmes navals (SDAM), ISR tactique (Patroller), micro-drones durcis (NX70, ANAFI USA) et services (formation, maintien en condition, cyber).
Les utilisations futures et axes d’innovation
Trois axes se dégagent.
- Autonomie collaborative. Essaims de micro-drones capables de se répartir des secteurs, de suivre des colonnes en temps réel et de relocaliser une cible après rupture de contact, avec un hélicoptère en chef d’orchestre.
- Guidage multi-modal. Combiner laser, coordonnées BLOS, radar SAR léger et fusion capteur-IA pour verrouiller des objectifs complexes en milieu urbain, tout en documentant la conformité ROE.
- Resilience de mission. Liaisons mesh multi-porteuses, anti-brouillage, navigation de secours sans GNSS et cyber-durcissement bout-en-bout. À terme, contrôle d’un drone depuis le cockpit par gestuelle/voix et intégration d’alertes IA contextuelles sur la symbologie casque.
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