Premier vol en avant d’un UH-60 Black Hawk motorisé par le T901 du programme ITEP : +50 % de puissance, meilleure efficacité, mais avenir budgétaire flou.
L’US Army a fait voler en avant un UH-60 Black Hawk équipé du nouveau moteur T901 issu du programme ITEP, atteignant environ 4 000 ft (1 220 m). Ce jalon valide en conditions réelles les gains visés : 50 % de puissance en plus, environ 25 % de consommation spécifique en moins et une durabilité accrue grâce aux matériaux composites à matrice céramique (CMC) et à la fabrication additive. Le moteur est conçu pour redonner des marges de performance en environnement « hot & high » et pour réduire les coûts de cycle de vie des flottes Black Hawk et Apache. Malgré cette réussite technique, l’US Army souligne l’incertitude du financement au-delà de l’exercice FY26, conséquence d’arbitrages budgétaires et de la re-priorisation post-FARA. Des élus ont toutefois rappelé l’intérêt opérationnel du T901, y compris pour les MH-60 des forces spéciales. Si la trajectoire budgétaire se confirme, la re-motorisation pourrait transformer l’endurance, la charge utile et la sécurité des hélicoptères de manœuvre et d’attaque au cours de la prochaine décennie.
Le contexte d’un programme clé pour la flotte de l’US Army
Le programme Improving Turbine Engine Program vise à remplacer le T700 par le T901 sur les UH-60 Black Hawk et AH-64 Apache. Objectif : restaurer la charge utile et l’autonomie perdues au fil des sur-charges avioniques et des opérations en altitudes/temps chauds, tout en abaissant la consommation et la maintenance. La démonstration de vol en avant réalisée le 13 octobre 2025 valide une phase critique du calendrier d’essais : après les essais au banc, les premiers « ground runs » puis le vol stationnaire, l’appareil a montré une stabilité en translation avec le nouveau groupe motopropulseur. La progression « banc → sol → vol » est essentielle pour lever les risques techniques avant l’extension de l’enveloppe de vol et la qualification.
Un jalon opérationnel au-delà du simple « hover »
Pour un hélicoptère, franchir le cap du vol en avant avec un moteur nouveau est significatif : la dynamique rotor, la gestion thermique et les lois de commande moteur/FADEC sont sollicitées différemment qu’en stationnaire. Atteindre 4 000 ft (1 220 m) en translation prouve que la chaîne propulsion-rotor encaisse la charge et que la boucle de contrôle répond comme prévu. C’est un prérequis avant les essais en « hot & high », les décollages à masse élevée et les profils de mission réalistes.
L’apport technique du T901 : puissance, rendement et durabilité
Le T901 s’inscrit dans la classe des 3 000 shp (≈2 240 kW). Par rapport au T700, il vise 50 % de puissance supplémentaire et environ 25 % de consommation spécifique en moins, avec une architecture optimisée (moins de pièces) et des matériaux à haute tenue thermique. Les CMC autorisent des températures plus élevées au cœur, limitent le besoin en air de refroidissement et libèrent davantage de débit pour la puissance utile. L’impression 3D de certaines géométries complexes réduit la masse, améliore le refroidissement local et simplifie la maintenance. À la clé : plus de couple disponible aux faibles vitesses rotor, meilleure marge dans les montées verticales et les posés en altitude, et une autonomie accrue à charge utile donnée.
Des bénéfices tangibles en mission « hot & high »
Sur des bases en altitude ou sous fortes chaleurs, le T700 impose souvent des compromis : emporter moins de carburant, moins de soldats ou renoncer à certaines routes. Avec le T901, un Black Hawk peut décoller avec plus de masse utile, tenir un taux de montée suffisant et conserver des marges thermiques, ce qui améliore la sécurité en environnement dégradé. Les profils de mission type – infiltration/exfiltration à moyenne altitude, évacuation sanitaire avec équipements, ravitaillements avancés – gagnent en rayon d’action ou en charge utile, sans multiplier les rotations.
Les implications pour Black Hawk et Apache
Pour Black Hawk, la re-motorisation se traduit par un « regain » de performances proches des spécifications initiales malgré la prise de poids structurelle et l’empilement d’équipements. Les unités pourraient planifier des legs plus longs, limiter les escales carburant et reconfigurer les charges entre carburant et passagers/cargo. Pour Apache, l’intérêt touche la vitesse en montée, la tenue en stationnaire armé et la capacité à opérer avec une panoplie d’armements complète en altitude. Une meilleure consommation réduit aussi la signature logistique, élément critique en opérations dispersées.
Effets attendus sur la sécurité et la maintenance
Au-delà de la performance brute, l’augmentation de marge disponible au rotor se convertit en sécurité : davantage de « power available » pour gérer une panne partielle, une rafale descendante ou un atterrissage d’urgence. Côté soutenabilité, l’architecture simplifiée, les CMC et des sous-ensembles imprimés peuvent réduire les visites, allonger les intervalles et améliorer la disponibilité. À l’échelle d’une flotte, quelques points de disponibilité gagnés se traduisent par des heures de vol utiles supplémentaires et une meilleure résilience opérationnelle.
Un programme performant mais sous contrainte budgétaire
Malgré la réussite technique, l’US Army a indiqué que le sort du T901 dépendra de la trajectoire de crédits au-delà de FY26. Les arbitrages récents – arrêt du FARA, priorités concurrentes – ont suscité des discussions sur l’étendue et le tempo de la remotorisation. Des parlementaires ont rappelé la criticité du moteur pour les flottes existantes et ont soutenu des rallonges partielles ; néanmoins, l’incertitude demeure sur le volume d’intégration annuel et la cadence industrielle. Dans l’intervalle, l’Armée pousse l’expérimentation sur différents cadres : UH-60M d’essais, intégration prévue sur des MH-60 des forces spéciales, puis montée en charge progressive selon les enveloppes votées.
L’industrialisation et le rétrofit : un défi d’échelle
Intégrer un nouveau moteur dans des cellules en service implique kits, essais d’intégration, formation mécaniciens, stocks de rechanges et adaptation des manuels. La standardisation des lots et la synchronisation des visites lourdes seront déterminantes pour limiter l’immobilisation. Chaque base devra gérer une transition transitoire « double flotte » (T700/T901), avec des effets sur l’outillage et la supply chain. Le succès opérationnel reposera sur la capacité de GE Aerospace et des dépôts de l’US Army à livrer des moteurs, modules et supports en cadence, tout en conservant un coût unitaire compétitif face à d’autres priorités capacitaires.
Ce que change ITEP sur l’empreinte logistique
Réduire la consommation spécifique de ~25 % diminue la demande carburant pour un même profil, ce qui allège la chaîne d’acheminement, la vulnérabilité des convois et la pression sur les stocks avancés. Combiné à une durabilité accrue, cela peut abaisser le coût par heure de vol et libérer des budgets OPEX pour la formation ou la modernisation d’autres sous-systèmes (liaisons de données, capteurs, autoprotection). Dans une campagne prolongée, moins de rotations de citernes et moins de pièces critiques à remplacer sont des multiplicateurs d’efficacité.
Les prochaines étapes techniques et réglementaires
Après ce premier vol en avant, le plan d’essais doit ouvrir progressivement l’enveloppe : vitesses plus élevées, températures extrêmes, altitudes supérieures, profils lourds, essais de panne simulée et endurance. Les essais « hot & high » en terrains représentatifs permettront d’objectiver les gains sur les Black Hawk déployés en montagne ou en climat désertique. En parallèle, la qualification militaire du moteur et des kits d’intégration devra converger avec la qualification cellule, afin de sécuriser des livraisons en série coordonnées avec les créneaux de maintenance lourde.
Un impact stratégique si la remotorisation est financée
Si l’effort budgétaire se confirme, l’US Army pourra prolonger la pertinence de ses hélicoptères face aux environnements plus chauds, plus élevés et plus contestés. Un Black Hawk plus endurant et un Apache plus disponible permettent de conserver un tempo d’opérations élevé malgré des lignes logistiques tendues. Au-delà des États-Unis, les conclusions techniques seront scrutées par les alliés qui exploitent ces plateformes et qui cherchent des solutions « plug-and-play » pour gagner de la marge sans investir dans des cellules neuves. La réussite durable du T901 dépendra toutefois de trois équations : cadence industrielle, trajectoire de budget FY26 et acceptation opérationnelle après des milliers d’heures de retour d’expérience.

HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.