Au décollage et à l’atterrissage CAT A, la masse maximale n’est pas un chiffre arbitraire : elle résulte d’un calcul précis au « point de performance ». Décryptage technique.
Le point de performance CAT A est le moment exact du profil de décollage ou d’atterrissage où l’on vérifie que l’hélicoptère respecte toutes les exigences de performance de catégorie A en cas de panne moteur critique. Il ne s’agit pas simplement de rester sous la masse maximale certifiée, mais de démontrer qu’à une masse donnée, dans des conditions d’altitude-densité déterminées et avec un environnement d’obstacles réel, l’appareil peut soit rejeter le décollage et se reposer sur la zone, soit poursuivre en trajectoire montée en configuration monomoteur, avec les marges réglementaires. Concrètement, le calcul des limitations de masse au point de performance combine plusieurs contraintes : courbe WAT (Weight–Altitude–Temperature), distances de décollage et de rejet, pente de montée OEI (One Engine Inoperative), capacité de vol stationnaire hors effet de sol et géométrie de la zone (piste, hélisurface, helideck). La masse maximale autorisée au point de performance est toujours la plus faible des valeurs issues de ces contraintes, ce qui explique pourquoi les limitations opérationnelles sont souvent inférieures à la masse maximale au décollage publiée dans le Flight Manual.
La philosophie de la performance CAT A et du point de performance
La performance CAT A est un standard de certification pour les hélicoptères multimoteurs. Il garantit qu’en cas de panne du moteur critique à un moment défini, l’appareil peut soit interrompre le décollage et s’arrêter sur la zone, soit continuer le vol et dégager les obstacles, en respectant des trajectoires et des gradients minimaux.
Les opérations commerciales en performance class 1 exigent l’utilisation de profils CAT A et d’une masse compatible avec ces profils. Le « point de performance » est le point de la trajectoire où l’on considère que la masse est « régulée » :
- au décollage, c’est typiquement le point DPATO ou TDP (defined point after take-off / take-off decision point),
- à l’atterrissage, c’est le point DPBL (defined point before landing) ou l’équivalent publié.
À ce point, l’exploitant doit pouvoir démontrer, en utilisant les données de performance du Rotorcraft Flight Manual (RFM), que :
- en cas de panne moteur juste avant, il peut rejeter : retour sur la zone ou arrêt sur la distance disponible ;
- en cas de panne moteur juste après, il peut continuer : montée OEI, trajectoire publiée, franchissement des obstacles avec la marge réglementaire.
Le calcul de la masse maximale au point de performance vise donc à vérifier que ces deux scénarios restent possibles pour la masse et les conditions ambiantes envisagées.
Le rôle central des courbes WAT et des conditions atmosphériques
Une première limitation : la courbe Weight–Altitude–Temperature
La base du calcul reste la courbe WAT (Weight–Altitude–Temperature) publiée dans le RFM pour les profils CAT A. Elle donne, pour une altitude-pression et une température extérieure données, la masse maximale à laquelle l’hélicoptère satisfait les exigences de montée OEI (gradient, Vtoss, segments de montée).
Exemple typique :
- altitude-pression 1 000 ft (305 m),
- température extérieure +30 °C,
- profil CAT A « clear area » publié,
→ la courbe WAT peut indiquer une masse maximale de 6 600 kg.
Cette masse garantit, dans les conditions standard (vent nul, masse centrée, configuration définie), que si un moteur tombe en panne au point critique, l’hélicoptère peut poursuivre la trajectoire CAT A et atteindre le deuxième segment de montée avec la pente minimale réglementaire.
L’impact de l’altitude-densité
En pratique, le pilote ne travaille pas seulement avec l’altitude-pression et la température séparément, mais avec l’altitude-densité, qui combine pression, température et parfois humidité. Une journée chaude sur un site élevé (par exemple 1 500 m d’altitude et +30 °C) peut porter l’altitude-densité au-delà de 3 000 m, avec un effet direct sur la poussée rotor et la puissance moteur disponible.
Plus l’altitude-densité augmente, plus la masse maximale autorisée sur la courbe WAT diminue. C’est souvent le premier facteur qui « casse » la masse au point de performance, avant même d’examiner les distances ou les obstacles.
Le calcul de masse au décollage : profil CAT A et distances disponibles
Une articulation entre distance de décollage et distance de rejet
Pour un décollage CAT A, le RFM fournit généralement :
- une distance de décollage jusqu’à DPATO / TDP,
- une distance de rejet de décollage (return / reject distance),
- parfois des distances « clear area » pour les sites contraints (hélisurfaces, helidecks).
Le calcul des limitations de masse au point de performance consiste à s’assurer, masse par masse, que :
- la distance nécessaire pour atteindre DPATO reste inférieure à la distance disponible sur la piste ou dans la « clear area »,
- la distance nécessaire pour un rejet au point critique reste elle aussi contenue dans la distance disponible pour revenir et se reposer.
Concrètement, l’équipage ou le service opérations procède par itérations à partir des tables :
- on choisit une masse candidate, par exemple 6 400 kg ;
- on lit dans le RFM les distances de décollage et de rejet pour cette masse, à l’altitude-densité du jour ;
- on compare ces distances à la géométrie du site (longueur utile, dégagements, pente) ;
- si la distance requise dépasse la distance disponible, il faut réduire la masse et recommencer.
La masse maximale CAT A au décollage pour ce site sera la masse la plus élevée pour laquelle :
- WAT est respectée,
- distances de décollage et de rejet sont compatibles avec la surface disponible,
- obstacle clearance OEI est démontrée sur la trajectoire publiée.
L’exemple d’un helideck offshore
Sur un helideck offshore, le « point de performance CAT A » est souvent défini sur la bordure du pont, là où la trajectoire passe du vol stationnaire ou de la translation lente à une montée plus franche. La « clear area » correspond alors au disque du helideck plus une portion de la zone dégagée au-dessus de la mer.
Le calcul intègre :
- le diamètre utile du helideck (par exemple 22 m),
- la hauteur de la mer, des superstructures et des grues,
- la pente d’envol choisie (souvent publiée sous forme de profil CAT A spécifique au type d’hélicoptère),
- la trajectoire de rejet (repose sur le pont) ou de continuation (descente contrôlée vers la mer, puis montée OEI).
La masse au point de performance doit garantir que, en cas de panne moteur juste avant le point où l’appareil sort de la « clear area », la trajectoire de rejet permet encore de revenir sur le helideck sans contact avec les obstacles. C’est souvent plus limitant que la seule courbe WAT, surtout dans des conditions de vent traversier ou de mer agitée.
Le calcul de la masse à l’atterrissage : régulation au point DPBL
La notion de masse d’atterrissage régulée
Pour l’atterrissage CAT A, on parle de masse d’atterrissage régulée. La logique est symétrique à celle du décollage : on définit un point DPBL sur la trajectoire d’approche, à partir duquel une panne moteur doit permettre soit :
- de poursuivre l’approche et de se poser sur la zone,
- soit de remettre les gaz, de passer OEI et de dégager les obstacles selon le profil publié.
Le calcul de masse à l’atterrissage combine alors :
- les courbes WAT d’approche et de remise de gaz,
- les distances d’approche et de remise de gaz publiées,
- la pente de la trajectoire,
- la position et la hauteur des obstacles autour de la zone.
La masse maximale au point DPBL est la plus faible de :
- la masse issue de la courbe WAT (capacité OEI à poursuivre la remise de gaz),
- la masse compatible avec la distance d’atterrissage disponible (depuis DPBL jusqu’à l’arrêt sur la zone),
- la masse structurelle maximale du train ou du helideck.
La prise en compte de la masse réelle à l’arrivée
Un point souvent sous-estimé est que la masse au point de performance à l’atterrissage n’est pas la masse au décollage, mais la masse réelle à ce moment-là : masse au décollage moins carburant consommé, moins éventuellement largage ou dépose de charge.
Si le calcul montre qu’au point DPBL, la masse maximale CAT A est de 6 000 kg, l’équipage doit s’assurer que son carburant résiduel à l’arrivée ne le fera pas dépasser cette valeur. La planification carburant doit donc intégrer cette contrainte, quitte à emporter moins de carburant initial et à prévoir un ravitaillement intermédiaire.
La synthèse pratique : comment l’équipage obtient sa masse maximale CAT A
La méthode opérationnelle « masse la plus restrictive »
En pratique, le calcul au point de performance CAT A aboutit à plusieurs masses limites partielles :
- masse maximale structurale au décollage ou à l’atterrissage,
- masse maximale WAT (performance OEI),
- masse maximale liée aux distances de décollage/atterrissage et de rejet/remise de gaz,
- masse maximale liée à la capacité de vol stationnaire hors effet de sol (HOGE) OEI ou BIMOTEUR, si le profil l’exige,
- masse maximale imposée par la résistance de la surface (helideck limité à une charge donnée, par exemple 12,8 t).
La masse opérationnelle maximale au point de performance est la plus faible de ces valeurs. C’est elle que l’équipage retient comme référence, en calculant ensuite la masse au décollage nécessaire pour, après taxi et segments de vol, se présenter à ce point avec une masse compatible.
Un exemple chiffré simplifié
Supposons :
- hélicoptère bimoteur certifié CAT A,
- altitude-pression du site 500 ft (152 m), température +25 °C,
- courbe WAT : masse max 6 800 kg,
- distances RFM : à 6 800 kg, distance de décollage 210 m, distance de rejet 180 m,
- surface disponible « clear area » équivalente à 200 m,
- capacité HOGE OEI à cette altitude-température : 6 500 kg,
- helideck limité structurellement à 7 000 kg.
Les limitations partielles sont alors :
- structurale : 7 000 kg,
- WAT : 6 800 kg,
- distance (décollage/rejet) : masse réduite à 6 400 kg pour rentrer dans 200 m,
- HOGE OEI : 6 500 kg.
La masse maximale CAT A au point de performance sera donc 6 400 kg, valeur la plus restrictive, même si la masse maximale au décollage certifiée est plus élevée. Toute la planification de masse et carburant va s’articuler autour de cette valeur.
Une exigence de performance qui façonne la manière de voler
Le calcul des limitations de masse au point de performance CAT A n’est pas un exercice administratif. Il conditionne la sécurité de la phase la plus vulnérable du vol : le décollage et l’atterrissage à proximité du sol, avec la possibilité d’une panne moteur critique.
Il influence directement :
- la charge utile réellement exploitable par l’opérateur,
- le choix des profils de décollage et d’approche,
- la conception des helidecks et des hélisurfaces difficiles,
- la répartition du carburant entre autonomie et compatibilité CAT A.
Dans un contexte où les autorités renforcent les exigences de performance class 1 autour des zones sensibles, les équipages n’ont pas d’autre choix que de maîtriser finement ces notions. Derrière chaque masse « régulée » inscrite sur un plan de vol, il y a une équation complexe entre courbes WAT, géométrie des sites et scénarios de panne moteur. La compréhension précise de cette équation reste l’un des marqueurs d’un pilotage professionnel en environnement exigeant.
HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.
