Leonardo – Le bras de fer norvégien qui bouscule le programme NH90

Leonardo - Le bras de fer norvégien qui bouscule le programme NH90

Oslo réclame 2,8 milliards d’euros à NHIndustries pour le NH90. Un litige majeur qui interroge disponibilité, maintenance et stratégie industrielle de Leonardo et Airbus.

En résumé

La Norvège exige 2,8 milliards d’euros à NHIndustries (consortium Leonardo/Airbus Helicopters/GKN Fokker) pour solder le contentieux des hélicoptères NH90. Le contrat, signé en 2001 pour 14 appareils destinés à la marine et aux garde-côtes, a été résilié en 2022 après des années de retards, d’indisponibilités et de maintenance lourde. Selon Oslo, la demande couvre le remboursement des sommes versées, les coûts d’exploitation et une partie du remplacement de la capacité, désormais orientée vers des HH-60W et des MH-60R. Côté industriel, l’affaire survient alors que NHI poursuit un plan d’amélioration (software, supply chain, “Block 2”) pour relever la disponibilité opérationnelle chez d’autres clients européens. Au-delà des montants, l’enjeu est double : clarifier la responsabilité contractuelle sur un programme complexe, et sécuriser la crédibilité du NH90 dans la durée. Le calendrier judiciaire s’ouvre à l’automne 2025 à Oslo, avec des conséquences possibles sur les provisions et la gouvernance des grands consortiums.

Le litige qui expose un programme emblématique

La réclamation chiffrée par Oslo

Le ministère norvégien de la Défense réclame 2,8 milliards d’euros (≈ 33 milliards de NOK) à NHIndustries. Le montant agrège trois postes : le remboursement de l’investissement initial, les coûts d’exploitation accumulés sur une flotte jugée non conforme aux exigences, et une part du remplacement capacitaire par une nouvelle solution. L’État fait valoir que le déficit d’heures de vol et les délais de mise au standard opérationnel ont compromis l’emploi maritime prévu (lutte ASM, garde-côtes, recherche-sauvetage). L’échec d’une médiation a conduit au dépôt de l’action en justice, désormais planifiée devant le tribunal d’Oslo.

Les positions des parties

NHIndustries conteste le bien-fondé juridique de la résiliation de 2022 et a, de son côté, formulé des demandes financières envers l’État norvégien. Le consortium soutient que des mesures correctives et un plan d’amélioration de la disponibilité étaient sur la table et qu’ils auraient permis d’atteindre des performances acceptables. Les échanges portent sur l’interprétation des clauses de performance, l’étendue des responsabilités et le partage des risques techniques dans un programme paneuropéen.

La trajectoire norvégienne du NH90

Les objectifs initiaux et l’écart de performance

La Norvège commande en 2001 quatorze NH90 (version NFH) : huit pour la Norwegian Coast Guard, six pour la Royal Norwegian Navy. Les livraisons devaient s’échelonner de 2005 à 2008. En pratique, seuls huit appareils atteignent une configuration pleinement opérationnelle, trop tard et avec un niveau d’activité insuffisant. La cible annuelle était d’environ 3 900 heures de vol pour la flotte ; les dernières années observées ont tourné autour de 700 heures, soit moins d’un cinquième de l’objectif. Des indicateurs techniques ont aussi alerté sur des taux de panne par heure de vol très supérieurs aux seuils attendus, traduisant une immobilisation excessive en hangar.

Les causes techniques et logistiques

Plusieurs facteurs se cumulent : complexité du standard maritime (capteurs ASM, treuils, radar), pièces critiques à rotation longue, corrosion en environnement salin, hétérogénéité des configurations et goulots d’étranglement MRO. Sur un hélicoptère de cette classe (masse max au décollage ≈ 10,6 tonnes), chaque incrément de mission (bouée sonar, FLIR, consoles) alourdit les cycles de maintenance et la planification. Les variations de standard entre utilisateurs limitent, en outre, les mutualisations de stock et de documentation technique.

Les conséquences capacitaires : du NH90 aux hélicoptères US

Le remplacement progressif par des H-60

Oslo a déjà enclenché des solutions de remplacement. Côté naval, l’acquisition de MH-60R renforce la lutte ASM à partir des frégates. Pour la composante de sauvetage/évacuation et d’alerte, la Norvège a reçu l’aval américain pour jusqu’à neuf HH-60W “Jolly Green II” (package notifié à 2,6 milliards USD). Au-delà du coût d’entrée, l’attrait tient au parc mondial H-60, à l’interopérabilité OTAN et à l’écosystème de pièces. L’HH-60W, optimisé CSAR, combine protection (avertisseurs de menace, leurres), autonomie accrue (ravitaillement en vol) et avionique éprouvée. Les performances typiques d’un Black Hawk restent adaptées aux profils nordiques : vitesse de croisière d’environ 270–290 km/h (145–155 kt) et rayon d’action compatible avec des interceptions sur littoral et zones éloignées.

L’impact opérationnel à court terme

La transition exige de gérer un trou capacitaire : formation équipages/techniciens, aménagements spécifiques (SAR/MEDEVAC), qualification armements/senseurs, et montée en cadence logistique. Les hélicoptères hérités devront être repositionnés, cannibalisés ou restitués selon les protocoles contractuels. Les garde-côtes norvégiens, privés d’une partie de leur couverture aérienne, ont déjà recouru à des solutions intérimaires pour maintenir l’alerte sur des patrouilles longues et des treuillages en mer agitée.

Les enjeux industriels pour Leonardo, Airbus et NHIndustries

La structure du consortium et la chaîne de valeur

NHIndustries agrège Airbus Helicopters (62,5 %), Leonardo (32 %) et GKN Fokker (5,5 %). Chaque partenaire porte des lots majeurs : cellules avant/centrales, transmissions, systèmes hydrauliques, avionique et sous-ensembles de queue. L’industrialisation repose sur plusieurs lignes d’assemblage en Europe (France, Italie, Allemagne) et, selon les contrats, sur des capacités locales (Finlande, Espagne). Cette dispersion est un atout en souveraineté, mais complique la gestion des configurations et du support.

La dynamique “Block 2” et les contrats récents

Malgré les retraits isolés (Norvège, Australie), le NH90 reste un programme européen majeur, avec plus de 500 appareils livrés et une clientèle toujours active. En 2024, NAHEMA a signé un contrat d’upgrade de plus de 600 millions d’euros, centré sur une nouvelle release logicielle et des améliorations de support pour plusieurs pays. En 2025, Airbus Helicopters et Leonardo initient des études d’architecture “Block 2” afin de prolonger la vie en service, d’optimiser maintenance et disponibilité, et de moderniser capteurs et interfaces homme-machine. L’objectif est d’atteindre des taux de disponibilité stables, de lisser les inspections lourdes et d’aligner la chaîne de pièces.

La lecture technique : disponibilité, maintenance et coût total

Les métriques qui comptent

Pour un opérateur maritime, les KPI clés restent le taux de disponibilité, les heures de vol annuelles, le coût par heure et les délais MRO. Sur NH90, l’augmentation des intervalles d’inspection (par exemple, aligner 900/1 800 heures pour certaines pièces dynamiques) et l’augmentation des pools d’échange peuvent lisser les immobilisations. Mais l’équation n’est viable que si le flux de pièces et la documentation suivent, sous peine de voir l’appareil rester au sol pour une simple rotule ou une carte avionique.

Les contraintes spécifiques aux missions navales

Opérer depuis une frégate impose des tolérances mécaniques strictes : atterrissages sur pont en roulis, corrosion accélérée, vibrations et cycles de treuillage intensifs. La configuration NFH (NATO Frigate Helicopter) ajoute sonar, radar maritime, ESM, torpilles ; autant de sous-systèmes qui exigent du personnel qualifié et une supply chain dédiée. La standardisation inter-marines (procédures, outillage, références) est un levier immédiat de gains de disponibilité.

Les implications juridiques et financières

Le calendrier et les risques

Le dossier entre au rôle du tribunal d’Oslo à l’automne 2025. Les chefs de demande portent sur les obligations de performance, la conformité contractuelle et l’indemnisation des préjudices économiques. Pour Leonardo et Airbus Helicopters, le risque principal n’est pas uniquement financier (provisions potentielles), mais aussi réputationnel dans les appels d’offres où la fiabilité du support pèse autant que le prix. À l’inverse, NHIndustries cherchera à démontrer la réalité de ses plans d’amélioration et la part de risque assumée par le client sur un programme de coopération.

Les effets possibles sur la gouvernance des JV

Quelle que soit l’issue, le cas norvégien pourrait faire jurisprudence : clauses de disponibilité garanties, pénalités liées aux “heures garanties”, mécanismes d’arbitrage accéléré, gouvernance plus centralisée du support. Les futures coopérations européennes pourraient en tirer des contrats plus prescriptifs sur la data de maintenance, l’obsolescence et les stocks minimum.

Les perspectives du NH90 en Europe

La base installée et la modernisation

En parallèle du contentieux, les flottes allemande, italienne, française ou néerlandaise poursuivent l’exploitation et investissent dans des upgrades. Les objectifs affichés visent des disponibilités plus robustes grâce à des re-designs logiciels, à l’extension des intervalles, à la mutualisation des pièces et à l’industrialisation des réparations lourdes. L’ambition “Block 2” doit aussi préparer l’intégration de nouveaux capteurs et radios, tout en maîtrisant le poids et la complexité.

La concurrence et l’équilibre capacitaire

La montée des H-60 en Europe du Nord et l’attractivité de plateformes plus simples pour des missions garde-côtes mettent la pression sur le NH90. Mais le NFH conserve des atouts pour l’ASM lourde, avec une cabine volumineuse, un rayon d’action utile (jusqu’à 1 000 km, soit 540 nmi, selon version) et une architecture bimoteur adaptée aux opérations prolongées en mer. L’enjeu, désormais, est d’aligner ces qualités avec une disponibilité opérationnelle soutenue dans le temps.

La décision d’Oslo ne scelle pas l’avenir du NH90, mais elle impose aux industriels une transparence totale sur la performance réelle et au client une définition fine des exigences. Le jugement à venir pèsera autant sur les lignes budgétaires que sur la façon de concevoir et de piloter les grands programmes coopératifs en Europe.

HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.

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