Les géants mondiaux des hélicoptères parient sur l’essor chinois

Chine hélicoptère

Lors de l’édition 2025 à Tianjin, plus de 400 entreprises, dont Leonardo, Airbus Helicopters et AVIC, ont misé sur la montée à plus de 1 700 hélicoptères civils en Chine d’ici 2029.

À l’occasion de la 7ᵉ édition de la China Helicopter Exposition à Tianjin (16-19 octobre 2025), le secteur mondial des hélicoptères a clairement tourné son regard vers la Chine. Plus de 400 entreprises issues de plus de 20 pays ont exposé à cette manifestation centrée sur la « low-altitude economy ». Le rapport d’un centre d’études de Aviation Industry Corporation of China (AVIC) prévoit que la flotte civile chinoise dépassera 1 700 appareils d’ici 2029. Dans ce contexte, AVIC accélère ses propres productions (comme les AC-series) tandis que les acteurs occidentaux — Leonardo, Airbus, mais aussi Safran — cherchent des partenariats, coentreprises, lignes d’assemblage locales et soutien après-vente sur place. Cette dynamique traduit une transformation profonde : l’hélicoptère passe d’un usage marginal à un maillon clé de la mobilité urbaine, des missions d’urgence et de la logistique locale. Pour les fabricants, c’est une opportunité technique et industrielle majeure, mais aussi un test de capacités à s’adapter à un marché en rapide mutation. À moins que l’essor des drones et eVTOL ne vienne redessiner la donne.

Le contexte : la « low-altitude economy » chinoise et l’événement Tianjin

La Chine a lancé depuis plusieurs années le concept d’économie de basse altitude (« low-altitude economy »), visant à exploiter les espaces aériens de moins de 1 500 m pour la mobilité, les services, les missions d’urgence et la logistique. Lors de l’édition 2025 de l’exposition à Tianjin, l’espace dédié à ce segment était explicitement élargi. L’événement, unique niveau national dans le domaine des hélicoptères, a rassemblé plus de 400 entreprises de rotorcraft, d’UAV et de mobilité aérienne urbaine. Pour les fabricants, c’est l’opportunité de s’inscrire dans un marché qui vise à faire passer la flotte civile de 1 403 hélicoptères fin 2024 à plus de 1 700 en 2029. La pression concurrentielle est en hausse, et le temps pour monter des chaînes logistiques, des services après-vente et des alliances locales est limité.

La projection de flotte : vers 1 700 appareils civils en 2029

Le rapport publié par le centre de recherche d’AVIC anticipe une flotte civile chinoise de plus de 1 700 hélicoptères d’ici 2029. Alors que la flotte comptait 1 403 appareils fin 2024, l’accroissement s’appuie sur la demande pour les interventions rapides, le tourisme aérien, la mobilité urbaine, la logistique et les missions offshore. Le document prévoit également que le nombre d’heures de vol annuelles dépassera 300 000 heures d’ici 2029, signe d’un usage accru. Toutefois, la croissance devrait ralentir après 2030, en raison de la montée des drones et des aéronefs à décollage vertical (eVTOL) concurrents. Pour un constructeur, ces chiffres dessinent un horizon industrialisable : assemblage local, pièces de rechange, formation et services doivent être calés pour profiter de cette vague.

Les stratégies d’AVIC : montée en production locale, modèles nationaux

Le groupe AVIC, via ses filiales hélicoptères, mise sur la production locale et la montée en gamme des équipements nationaux. Par exemple, le modèle AC352 (version sous licence du H175 d’Airbus) est produit en Chine avec moteur localisé WZ16.) AVIC capitalise sur la demande intérieure afin de sécuriser prioritairement le marché national. La logique est claire : maîtriser la chaîne de valeur, réduire la dépendance à l’importation, proposer des plateformes adaptées aux terrains et altitudes chinois. En parallèle, AVIC présente des modèles plus légers ou de mission spécialisée, adaptés aux zones urbaines et à la logistique basse altitude. L’exposition de Tianjin offrait des vitrines « low-altitude ». Cette stratégie locale place AVIC en position de force : elle présente à la fois l’offre locale, l’écosystème de support et un marché captif à court terme.

Les stratégies occidentales : partenariats, coentreprises, lignes « China plus »

Pour les fabricants occidentaux, la Chine représente l’ultime levier de croissance. Ainsi, Airbus Helicopters a annoncé un accord d’achat de son H160 par China Southern Airlines General Aviation Company (CSAGA) pour missions offshore, à livrer en 2026. De plus, Airbus dispose d’une ligne d’assemblage finale (FAL) pour l’H135 à Qingdao (province de Shandong), la première hors Europe. De son côté, Leonardo a livré à China General Aviation son premier AW139, dans le cadre d’une commande de quatre machines annoncée en novembre 2024, avec livraison inaugurale à l’exposition de Tianjin. Le groupe Safran, via ses moteurs et systèmes, a signé avec AVIC la fourniture de motorisation pour l’AC313A, confirmant une chaîne franco-chinoise de longue date. Ces initiatives illustrent la recherche de coentreprises, de « localisation » (assembly, MRO) et de présence industrielle afin de sécuriser l’accès au marché chinois, tout en répondant aux conditions réglementaires d’accès à certains segments civils ou semi-publics.

Le défi technique et industriel : capter le marché basse altitude

Adaptation des machines et services

Le segment de la mobilité basse altitude impose des contraintes : cycles de missions courts, opérations dans zones urbaines ou périurbaines, bruit faible, maintenance rapide. Les hélicoptères doivent être adaptés à des usages tels que transport urbain, secours, navette entreprise, offshore léger, ainsi qu’aux conditions chinoises (relief, climat, densité). Les fabricants soulignent l’importance de réseau de maintenance, de formation des équipages et techniciens, et d’une logistique pièces bien implantée localement. Selon Airbus, « nous sommes prêts à fournir une solution complète – appareils, maintenance et support après-vente » en Chine.

Industrialisation locale et économie d’échelle

Pour rentabiliser l’effort industriel, les constructeurs visent un volume de production significatif. AVIC parle de milliers d’helicoptères sur la décennie. Un acteur occidental explique que le marché chinois pourrait devenir le plus grand marché hélicoptères civils au monde sur ce segment. La localisation permet aussi d’éviter les droits d’importation, les quotas et de bénéficier des zones de libre-échange (ex. Tianjin Free Trade Zone) pour les assemblages. L’expo de Tianjin est organisée dans cette zone. En définitive, le constructeur doit non seulement livrer des machines mais bâtir un écosystème complet : pièces, MRO, simulation, réseaux financiers.

Les enjeux marché : d’urgence, offshore, urbanité

Le marché chinois des hélicoptères civils recouvre plusieurs missions :

  • Transport offshore et logistique pétrolière/gazière, souvent moteur d’entrée. Exemple : l’AW139 pour les missions de la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC).
  • Services d’urgence, secours, lutte contre les incendies, travail aérien, mais aussi transport urbain et navettes d’affaire.
  • Développement de « vertiports » et héliports urbains dans les grandes villes, lié à la mobilité de basse altitude.
    Dans ce contexte, la croissance à 300 000 heures de vol annuelles d’ici 2029 signale une transformation d’usage plutôt qu’un simple accroissement d’appareils.

L’écosystème global : concurrence, coopération, risques

Concurrence et segmentation

Alors que DJI-type drones et eVTOL émergent, les hélicoptères restent les plateformes les plus polyvalentes pour les missions de transport moyen et d’urgence. Le rapport d’AVIC indique que la croissance des hélicoptères civils ralentira après 2030 précisément à cause de ces nouveaux acteurs. Les grands groupes doivent donc confirmer rapidement leur présence locale sinon le marché pourrait être capté par des solutions alternatives.

Coopération versus souveraineté industrielle

Les partenaires étrangers doivent souvent accepter une localisation poussée, partager technologies ou composants et s’inscrire dans la chaîne chinoise. Pour certains, c’est un compromis entre accès au marché et protection du savoir-faire. AVIC et ses filiales restent vigilants à la maîtrise des technologies clés.

Normalisation, certification et soutien long terme

Le succès ne dépend pas uniquement des ventes d’appareils mais de l’entretien, de la formation, de la disponibilité. Les opérateurs chinois exigent un soutien matériel et immatériel durable. Les constructeurs occidentaux misent sur leurs réseaux globaux pour fournir cette garantie.

Chine hélicoptère

Ce que cela veut dire pour les fabricants et la mobilité urbaine chinoise

Pour les fabricants d’hélicoptères, la Chine représente un levier de croissance stratégique : un marché à fort potentiel, où la flotte civile pourrait croître de ~20 % d’ici 2029. Pour les fabricants chinois, c’est l’opportunité de devenir exportateurs et d’installer des capacités d’assemblage à l’échelle mondiale. Pour la Chine, cela signifie que la mobilité aérienne de basse altitude devient un pilier de développement urbain et logistique. Les grandes villes chinoises pourront s’équiper de flottes dédiées au transport d’urgence, au tourisme aérien, au transfert entreprise ou à la liaison offshore. Le fait que plus de 400 entreprises mondiales soient présentes confirme l’ampleur de l’enjeu.

Panel d’exemples précis

  • Lors de l’exposition de Tianjin, la commande d’un H160 par CSAGA pour une livraison en 2026 a été signée.
  • Leonardo a déjà livré à China General Aviation un AW139, première d’une série de quatre machines, dont les bases sont en cours à Tianjin/Hainan.
  • Le rapport d’AVIC annonce une flotte civile de 1 700 appareils, avec 300 000 heures de vol annuelles prochaines.
    Ces exemples illustrent à la fois les engagements symboliques et la réalité industrielle.

Les défis qui restent à relever

Malgré les perspectives, quelques freins subsistent :

  • La densité des infrastructures héliportuaires reste faible dans certaines régions.
  • La formation des pilotes, techniciens et la certification locale exigent du temps et de l’investissement.
  • La concurrence d’eVTOL, drones cargo ou systèmes hybrides pourrait capter une partie des usages « low-altitude ». Le rapport d’AVIC évoque un ralentissement après 2030.
  • Le contexte géopolitique et les règles d’exportation/outils de contrôle technologique peuvent complexifier les partenariats occidentaux.
  • Les cycles économiques et la rentabilité réellement atteinte dans les missions urbaines sont encore à démontrer.

Une transformation du secteur hélicoptère en Chine à l’échelle

Ce qui se joue peut être qualifié de transition industrielle et opérationnelle : passer des hélicoptères importés et ponctuels à une flotte domestiquée, bien intégrée dans un modèle de mobilité urbaine, logistique ou touristique. Les constructeurs mondiaux n’arrivent pas « juste » pour vendre des appareils : ils s’engagent à intégrer la chaîne chinoise, à localiser la production, à stabiliser le réseau de services. Pour les acteurs chinois, l’objectif est de gagner en autonomie, d’exporter et de structurer un modèle concurrentiel global. Le secteur hélicoptère pourrait ainsi devenir un des vecteurs majeurs de la « low-altitude economy », mais aussi un révélateur des forces et limites de la coopération sino-occidentale.

Perspective ouverte

L’exposition de Tianjin et la prévision de 1 700 appareils civils d’ici 2029 posent un jalon : le marché chinois des hélicoptères entre dans une phase de mise à l’échelle industrielle et opérationnelle. Pour les fabricants, c’est une fenêtre ouverte pour cinq à dix années ; pour les autorités chinoises, c’est un acte d’avancée vers la mobilité aérienne intégrée. Reste à voir si cette dynamique sera soutenue — et comment elle résistera à l’arrivée parallèle des eVTOL et autres formes de transport aérien urbain.

HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.