Sans standardisation des chargeurs et formats eVTOL, la mobilité aérienne urbaine risque la fragmentation. L’harmonisation devient une priorité mondiale.
Alors que les premiers eVTOL commerciaux approchent des vols réguliers, un obstacle majeur menace leur déploiement à grande échelle : l’absence de standard universel pour la recharge et les interfaces au sol. Chaque constructeur — Archer, Joby, Lilium, Volocopter ou Eve — conçoit ses propres connecteurs, puissances et gabarits, rendant difficile la mutualisation des vertiports. Les opérateurs de FBO et d’aéroports alertent : sans harmonisation rapide des systèmes de charge, la croissance du secteur pourrait être freinée par la complexité logistique, l’incompatibilité des équipements et le surcoût d’installation. Inspirée du modèle automobile (standard CCS), l’industrie cherche un consensus technique : tensions, puissances, connecteurs, mais aussi dimensions des aires et marges de sécurité. L’objectif est clair : bâtir un écosystème interopérable, efficace et durable, capable d’accueillir des flottes mixtes de plusieurs marques dans les vertiports du futur.
Le besoin d’un standard mondial pour la recharge des eVTOL
L’essor des eVTOL entre dans une phase critique : les premiers appareils certifiés devraient voler commercialement dès 2026. Mais derrière la prouesse technologique, un défi structurel émerge : comment recharger efficacement des aéronefs issus de fabricants différents ? Contrairement à l’automobile électrique, où le standard CCS (Combined Charging System) a permis une interopérabilité quasi totale, le secteur de la mobilité aérienne avancée reste fragmenté. Chaque OEM — qu’il s’agisse de Joby Aviation, Archer Aviation, Lilium, Vertical Aerospace ou EHang — développe son propre système de charge, adapté à ses besoins énergétiques spécifiques.
Cette approche a du sens à court terme pour optimiser la performance de chaque modèle, mais elle crée à long terme un risque de cloisonnement opérationnel. Un vertiport équipé pour Joby ne pourra pas nécessairement accueillir un Lilium Jet, dont la tension d’alimentation dépasse 800 volts. L’absence d’un cadre harmonisé compliquera la planification des réseaux, les investissements et la gestion des flottes mixtes.
Les contraintes techniques : puissance, tension et sécurité
Les eVTOL nécessitent des puissances de charge bien supérieures à celles des véhicules terrestres. Pour un vol typique de 25 minutes, un appareil peut consommer entre 250 et 400 kWh, selon sa masse et son profil de mission. Les temps d’immobilisation doivent être réduits à 10 ou 20 minutes pour rester économiquement viables. Cela impose des chargeurs de 300 à 500 kW, souvent sous courant continu (DC).
Or, chaque constructeur a défini sa propre architecture électrique :
- Joby Aviation utilise une tension inférieure à 800 V pour simplifier l’électronique de puissance.
- Lilium opte pour un réseau interne à 900 V DC, optimisé pour la propulsion à canaux multiples.
- Archer mise sur une tension moyenne (≈700 V) compatible avec les infrastructures terrestres existantes.
Cette diversité empêche l’usage d’un connecteur commun. Elle pose aussi des questions de compatibilité thermique et de sécurité : l’échauffement des câbles, la gestion des risques d’arc électrique et la protection contre la surtension nécessitent des protocoles unifiés. Sans standardisation, chaque station doit être calibrée sur un type d’aéronef, multipliant les coûts d’installation et de maintenance.
L’exemple du CCS : un modèle à suivre
Le CCS, adopté par la majorité des constructeurs automobiles, combine un connecteur unique et un protocole de communication universel (DIN 70121, ISO 15118). Il permet la charge AC et DC sur un même port, jusqu’à des puissances supérieures à 350 kW. Cette réussite tient à la coordination entre les industriels, les énergéticiens et les régulateurs.
Dans le domaine aérien, plusieurs acteurs, dont BETA Technologies et Archer Aviation, militent pour une transposition de ce modèle au secteur eVTOL. Les chargeurs « Airside CCS » déjà déployés sur les FBO américains sont conçus pour être interopérables avec plusieurs appareils. La FAA et l’EASA suivent de près ces initiatives, car une harmonisation précoce faciliterait la certification et réduirait les coûts d’infrastructure.
L’adoption d’un connecteur universel ne serait pas seulement un choix technique, mais un levier économique : les vertiports pourraient être construits selon des standards communs, les opérateurs rationaliseraient leurs stocks et les coûts d’exploitation diminueraient.
Les enjeux d’uniformisation des plateformes et des gabarits
Au-delà de la connectique, la standardisation doit s’étendre aux dimensions et interfaces physiques des zones de stationnement. Les eVTOL présentent des morphologies variées : certains, comme EHang EH216-S, ont un diamètre inférieur à 8 m, tandis que d’autres, comme Lilium Jet, dépassent 14 m d’envergure.
Pour permettre une exploitation interopérable, il faut définir :
- des dimensions minimales de plateforme (par exemple, 16 × 16 m) pour accueillir la majorité des appareils ;
- des marges de sécurité harmonisées selon la catégorie de poids et le flux passager ;
- des interfaces au sol communes : marquages, points d’ancrage, zones d’évacuation, câblage souterrain.
Cette unification faciliterait la planification des vertiports et éviterait la multiplication de plateformes dédiées. L’idée est d’atteindre une modularité universelle, permettant d’accueillir plusieurs types d’appareils sans adaptation lourde.
Les vertiports face au casse-tête de l’interopérabilité
Les opérateurs comme Signature Aviation, Atlantic Aviation, UrbanV ou Skyports Infrastructure misent sur une approche modulaire. Mais ils alertent : sans normalisation rapide, la prolifération de standards propriétaires risque de freiner les investissements.
Un vertiport doit déjà gérer de multiples contraintes : puissance électrique disponible, espace au sol, réglementation incendie, compatibilité avec les flux hélicoptères existants. Ajouter à cela plusieurs connecteurs, tensions et formats d’appareil rendrait le modèle économique intenable. L’objectif est donc clair : concevoir des vertiports “agnostiques”, capables de servir plusieurs opérateurs eVTOL, comme les bornes multimarques du secteur automobile.
Plusieurs essais grandeur nature sont en cours : BETA Technologies déploie des stations universelles sur des sites Signature, tandis que Volatus Infrastructure expérimente des hubs à connecteurs multiples aux États-Unis. Ces projets serviront de base à une future normalisation mondiale.
Le rôle des régulateurs et des consortiums industriels
L’EASA, la FAA et Transport Canada ont déjà intégré la standardisation des infrastructures eVTOL dans leurs feuilles de route. Le défi : concilier la sécurité aéronautique et l’efficacité électrique.
Des groupes de travail spécifiques, tels que le GAMA Electric Propulsion Committee, le Vertical Flight Society Infrastructure Group et les initiatives UAM Infrastructure Taskforce, collaborent pour définir des spécifications communes. Les discussions portent sur :
- la tension maximale acceptée (jusqu’à 1 000 V DC) ;
- les protocoles de communication chargeur-appareil ;
- la détection d’erreurs et la gestion thermique ;
- les procédures de certification harmonisées entre constructeurs et opérateurs.
Une convergence rapide est jugée essentielle : la multiplication des projets pilotes en 2025-2026 exigera un cadre commun pour éviter un morcellement du marché.
L’électrification comme contrainte structurante des vertiports
La capacité d’un vertiport dépend directement de sa puissance installée. Un hub capable de recharger simultanément quatre eVTOL de 400 kW doit disposer d’une alimentation d’au moins 1,6 MW, soit l’équivalent de 800 foyers. Dans les zones urbaines, une telle demande impose des travaux lourds, des postes de transformation et parfois des batteries stationnaires pour gérer les pics de charge.
Une standardisation des puissances et des protocoles permettrait une meilleure gestion énergétique : planification des cycles, délestage intelligent, stockage tampon, voire échanges bidirectionnels (V2G aérien). Les systèmes d’optimisation pourraient être mutualisés entre constructeurs et FBO, réduisant les coûts et les risques de surcharge du réseau.
L’harmonisation, clé d’une croissance réaliste
L’unification des interfaces et des standards est la condition pour passer du prototype à la flotte commerciale. Sans cette convergence, chaque constructeur devra construire ses propres infrastructures, fragmentant l’écosystème et ralentissant l’adoption.
Le standard CCS, déjà présent dans l’automobile et l’aéronautique légère, s’impose progressivement comme base commune. Les industriels y voient une opportunité d’économie d’échelle et de simplicité réglementaire. Les discussions entre BETA Technologies, Joby, Archer, Lilium et les régulateurs dessinent une future norme « Air CCS », qui pourrait être adoptée avant la fin de la décennie.
Mais au-delà des aspects techniques, cette harmonisation traduit un enjeu stratégique : garantir l’interopérabilité mondiale des flottes, la viabilité économique des vertiports et la crédibilité de la mobilité aérienne électrique face à l’aviation traditionnelle.
Vers une infrastructure universelle
La standardisation de la recharge eVTOL dépasse le seul enjeu énergétique : elle symbolise la maturité industrielle du secteur. En établissant des formats communs, les acteurs pourront réduire les coûts, accélérer la mise en service et offrir une expérience fluide aux opérateurs comme aux passagers.
Si les constructeurs acceptent de converger dès 2025 sur des principes techniques clairs — puissance, connectique, gabarits —, l’urban air mobility pourrait se déployer sans heurts et s’intégrer naturellement aux réseaux existants. Faute d’accord, le risque est celui d’une fragmentation durable, où chaque ville, chaque pays, chaque marque bâtit sa propre infrastructure, retardant l’adoption et renchérissant les coûts.
L’avenir de l’aviation électrique urbaine se jouera donc autant sur la coopération industrielle que sur la performance technologique : une prise universelle pourrait bien être la clé d’un ciel partagé.

HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.