Plus discrets que les hélicoptères, les eVTOL restent audibles et introduisent une nouvelle tonalité en ville. Niveaux sonores, normes et perception décryptés.
Les eVTOL sont présentés comme une réponse aux nuisances des hélicoptères conventionnels grâce à leur propulsion électrique distribuée. Les mesures disponibles confirment une baisse significative des niveaux de bruit en dBA, mais ne valident pas l’idée d’un silence aérien. Des essais menés avec l’eVTOL de Joby Aviation montrent par exemple environ 45 dBA en croisière à 500 m d’altitude, et moins de 65 dBA lors des phases de décollage et d’atterrissage à 100 m du point de mesure, soit un ordre de grandeur proche d’une conversation normale. À titre de comparaison, un hélicoptère léger peut dépasser 85 à 90 dBA lors d’un survol à 150 m. Cette réduction est importante, mais elle s’accompagne d’une signature fréquentielle nouvelle, plus aiguë, qui peut surprendre en milieu urbain dense. Les normes se mettent à jour : l’EASA SC-VTOL et de nouvelles propositions visent à encadrer le bruit des taxis aériens, en lien avec les lignes directrices de l’OMS et de l’Annexe 16 de l’OACI. L’enjeu dépasse la seule technique : il touche directement l’acceptabilité sociale du bruit et le futur du taxi aérien électrique.
Le bruit des eVTOL face aux hélicoptères en ville
Une promesse de réduction du bruit, mais pas de silence
Un premier point est clair : les eVTOL silencieux n’existent pas. Ce que montrent les essais, c’est une baisse sensible du niveau sonore par rapport aux hélicoptères conventionnels, mais pas la disparition du bruit.
Lors des campagnes menées par la NASA avec le prototype de Joby Aviation, l’appareil en croisière à 500 m d’altitude et environ 185 km/h a été mesuré à 45,2 dBA au sol. La même plateforme reste en dessous de 65 dBA lors de profils de décollage et d’atterrissage, à 100 m du point de mesure.
À titre de comparaison, des données de certification indiquent que des hélicoptères légers de type Bell 206 peuvent générer entre 83 et 89 dBA en survol à 150 m, avec des valeurs supérieures à 90 dBA au voisinage direct. Des hélicoptères lourds de transport atteignent 87 à 89 dBA en survol à 150 m.
Sur l’échelle logarithmique des décibels, une réduction de 10 dB correspond à une division approximative par deux du niveau perçu. Une baisse de 15 dB, comme le recommande Uber pour les eVTOL par rapport à des hélicoptères de taille comparable, réduit fortement la surface exposée et la proportion de population « très gênée ».
Les eVTOL peuvent donc être beaucoup moins intrusifs, mais ils ne se fondent pas totalement dans le bruit de fond urbain, surtout lors des phases basses (montée initiale, approche, vol en stationnaire au-dessus d’un vertiport).
La réalité des niveaux sonores des eVTOL
Des niveaux moyens plus faibles que ceux des hélicoptères
Pour comprendre le bruit des eVTOL, il faut revenir aux ordres de grandeur. Dans un environnement quotidien, une rue calme tourne autour de 40–50 dBA, une conversation normale autour de 60 dBA, une rue très circulée entre 70 et 80 dBA.
Les premiers essais eVTOL se situent à la limite supérieure de ce spectre. Les 65 dBA mesurés à 100 m sur des profils de décollage/atterrissage restent proches d’une conversation animée. En croisière à plus haute altitude, les 45 dBA mesurés pour certains prototypes sont proches du bruit de fond urbain, ce qui explique que l’appareil devienne difficile à distinguer dans la ville.
À l’inverse, un hélicoptère conventionnel qui survole un quartier à 150–200 m émet un bruit perçu comme nettement plus intrusif, avec des pics dépassant souvent 80–85 dBA. Le contraste avec l’environnement sonore est alors très marqué, surtout la nuit.
Les études de modélisation UAM confirment qu’un abaissement de 10 à 15 dB par rapport à une flotte d’hélicoptères réduit de façon majeure la superficie exposée au-delà de 65 dBA, seuil souvent utilisé comme limite pour les aménagements résidentiels.
Des signatures fréquentielles nouvelles pour l’oreille urbaine
Si le niveau moyen baisse, la nature du bruit change. Le bruit d’un hélicoptère est dominé par les impulsions du rotor principal et les interactions pales / tourbillons, à des fréquences relativement basses, avec le fameux « wop-wop » perceptible de loin.
Les eVTOL, eux, s’appuient sur une propulsion électrique distribuée avec plusieurs petits rotors tournant à des vitesses élevées. Le bruit résultant est plus continu, avec des composantes tonales plus aiguës. Les chercheurs qui modélisent ces signatures soulignent que la répartition de l’énergie acoustique dans le spectre sera aussi importante, voire plus, que le simple niveau en dBA pour juger de l’acceptabilité.
L’expérience menée par Volocopter à Stuttgart a par exemple mis en évidence un phénomène intéressant : les observateurs jugeaient le bruit « plus acceptable » que prévu après démonstration, alors même que le niveau mesuré restait comparable à une activité urbaine ordinaire. La nouveauté du son crée d’abord une attention accrue, qui peut décroître avec l’habitude si le niveau reste modéré.
Les normes acoustiques et les seuils réglementaires
Les lignes directrices de l’OMS et les seuils de gêne
Les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé recommandent, pour limiter les effets sur la santé, de ne pas dépasser en moyenne 55 dB Lden (indice jour-soir-nuit) pour le bruit routier, et 45 dB Lden pour le trafic aérien. La nuit, l’OMS préconise de rester sous 40 dB à l’extérieur des chambres.
En pratique, la plupart des politiques se basent encore sur des seuils de 55–65 dB pour cartographier les zones à enjeu. La Federal Aviation Administration considère par exemple que 65 dBA en moyenne jour-soir-nuit est le seuil au-delà duquel l’usage résidentiel devient problématique.
Pour les eVTOL en milieu urbain, ces repères servent de toile de fond. Un seul survol à 65 dBA reste convenable, mais une multiplication de passages au-dessus d’un quartier d’habitation pose la question du cumul : il ne suffit pas qu’un appareil soit plus silencieux qu’un hélicoptère, il faut que l’ensemble du trafic reste en dessous des seuils d’exposition chronique.
Les nouvelles règles pour VTOL : de l’EASA à l’OACI
Sur le plan réglementaire, l’Europe s’est engagée dans un chantier spécifique avec l’EASA SC-VTOL, cadre de certification des VTOL, complété par des moyens de conformité (MOC) successifs. Un premier texte sur l’évaluation et la limitation du bruit des eVTOL a été publié en 2023, avec l’ambition d’être la première référence mondiale en la matière.
En 2025, l’EASA a franchi une étape supplémentaire avec une proposition (NPA 2025-03) visant à instaurer un cadre complet de certification acoustique pour ces appareils. L’option privilégiée serait d’aligner les limites de bruit au décollage, en survol et en approche sur celles déjà applicables aux hélicoptères dans l’Annexe 16 de l’OACI, chapitre 8, tout en tenant compte des profils de vol spécifiques des VTOL.
En parallèle, des travaux internationaux (NASA, FAA, agences nationales) cherchent à adapter les modèles de bruit communautaire, initialement développés pour les avions et les hélicoptères, aux nouvelles trajectoires, altitudes et fréquences des opérations UAM. L’absence de données de référence pour les eVTOL oblige à combiner essais réels et simulations de haute fidélité.
Les enjeux d’acceptabilité pour le taxi aérien électrique
Les études de psycho-acoustique montrent que deux sons de même niveau dBA peuvent générer des perceptions très différentes. Un bruit impulsif, grave et irrégulier est souvent jugé plus gênant qu’un bruit continu et plus aigu, même à niveau égal. Les premières comparaisons entre drones, hélicoptères et avions indiquent que les véhicules électriques plus petits sont souvent perçus comme « moins agaçants » à 65 dBA qu’un avion de ligne ou un hélicoptère, même si la différence de niveau n’est pas spectaculaire.
Pour le taxi aérien électrique, la question ne sera donc pas seulement de respecter des limites chiffrées, mais de gérer la perception : trajectoires évitant les zones sensibles, altitudes suffisantes, restrictions nocturnes, gestion de la fréquence des survols, choix technologiques réduisant les composantes tonales les plus gênantes.
Des acteurs industriels travaillent déjà sur ces leviers. Les essais de Joby montrent par exemple des configurations de vol « wing-borne », où la portance est assurée principalement par l’aile, qui réduisent encore la zone au sol exposée à 65 dBA, par rapport aux phases partiellement sustentées par la poussée verticale.
En parallèle, les études de bruit cumulatif en environnement urbain (Dallas–Fort Worth, autres métropoles) montrent que l’intégration de centaines de vols eVTOL par jour exigera une conception fine de l’espace aérien, pour éviter d’ajouter des couloirs bruyants au-dessus de quartiers déjà exposés au trafic routier ou ferroviaire.
Une fenêtre d’opportunité conditionnée par la maîtrise acoustique
Les eVTOL partent avec un avantage réel par rapport aux hélicoptères : un niveau moyen plus faible, une possibilité de façonner la signature sonore et un cadre réglementaire en cours de construction, potentiellement favorable aux appareils les plus silencieux. Mais cet avantage ne garantit pas l’acceptation automatique des habitants.
Dans un paysage urbain où les autorités cherchent déjà à réduire le bruit routier en dessous de 53 dB Lden, ajouter une nouvelle source sonore, même plus discrète, reste une décision sensible. Les premiers opérateurs qui déploieront des flottes d’eVTOL devront donc prouver, par des mesures et non par des slogans, que leurs opérations restent compatibles avec les seuils de santé publique et les attentes des riverains.
Si cette démonstration réussit, les eVTOL pourront ouvrir un nouveau chapitre de mobilité aérienne en ville sans reproduire le rejet dont souffrent encore les hélicoptères. Dans le cas contraire, le bruit – plus que la technologie – pourrait devenir le principal frein à la généralisation de ces appareils pourtant conçus pour mieux s’intégrer au tissu urbain.
HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.
