Les industriels dévoilent un moteur d’hélicoptère 100% européen

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Safran, MTU et leurs partenaires lancent ENGHE, un moteur d’hélicoptère 100% européen. Objectifs : souveraineté, performances accrues, SAF et hybridation à l’horizon 2040.

Le cap fixé par l’Europe de l’hélicoptère

Un moteur d’hélicoptère 100% européen entre en phase de préparation industrielle. Sous l’impulsion de Safran Helicopter Engines et MTU Aero Engines, réunis au sein de la coentreprise EURA, et avec l’appui d’un partenaire industriel italien, le projet ENGHE (European Next Generation Helicopter Engine) vise à équiper la prochaine génération d’hélicoptères militaires européens. L’objectif affiché est une entrée en service autour de 2040, avec un premier démonstrateur de propulsion prévu au début des années 2030. Ce programme, pensé pour des plateformes futures et pour les besoins des forces européennes, s’inscrit dans la volonté de souveraineté et de maîtrise technologique du continent.

Côté plateformes, Airbus Helicopters – tout comme d’autres avionneurs européens – est un intégrateur naturel pour les futurs appareils et architectures rotorcraft (programme NGRC/ENGRT). Les industriels moteurs structurent, de leur côté, l’écosystème propulsif qui devra répondre à des exigences accrues en performance, coûts d’exploitation et disponibilité.

La structure industrielle et la répartition des rôles

Le cœur du dispositif repose sur EURA (EUropean Military Rotorcraft Engine Alliance), une coentreprise 50/50 entre Safran Helicopter Engines et MTU Aero Engines dédiée aux moteurs d’hélicoptères militaires. Dans le cadre d’ENGHE, les partenaires annoncent une répartition des travaux à parts égales entre les grands acteurs moteurs engagés. Cette organisation vise à sécuriser la chaîne d’approvisionnement, optimiser les compétences clés (compresseur, chambre de combustion, turbines de haute et basse pression, boîte de transmission/accessoires), et accélérer la mise au point.

Le calendrier industriel s’appuie sur un appel spécifique du Fonds européen de défense (EDF), auquel l’équipe projet prévoit de répondre dès octobre 2025. À partir de là, un jalonnement classique est anticipé : maturation technologique (TRL), essais au banc de sous-ensembles, montée en puissance des bancs d’essais propulsifs, puis intégration sur banc volant avant l’industrialisation.

Les objectifs techniques : rendement, robustesse et disponibilité

ENGHE est annoncé avec des ruptures technologiques destinées à améliorer simultanément la portée, la vitesse, la manœuvrabilité et la disponibilité des futurs hélicoptères. Trois axes dominent :

  1. Efficacité énergétique
    Le futur turboshaft vise une réduction sensible de la consommation spécifique par une amélioration du rendement global : nouvelles aérodynamiques de compresseur, refroidissement avancé des aubages, et matériaux à haute température. À l’échelle d’une mission type, cela se traduit par plus d’autonomie ou plus de charge utile à masse carburant constante — un enjeu majeur pour toute opération de vol en hélicoptère en haute montagne ou en environnement chaud.
  2. Compatibilité carburants durables et hybridation
    Le moteur sera 100 % compatible SAF (carburants aéronautiques durables), condition clef pour réduire l’empreinte carbone sans modifier la logistique des opérateurs. L’architecture prévoit aussi une hybridation électrique renforcée (démarreur-générateur haute puissance, récupération d’énergie, assistance en transitoire), afin de soutenir les pointes de puissance, stabiliser les régimes et réduire l’usure en phases critiques (décollage, vol stationnaire prolongé).
  3. Disponibilité et coûts de maintenance
    Les partenaires affichent une cible d’abaissement des coûts d’exploitation et de maintenance via des architectures modulaires, une meilleure monitoring conditionnel (HUMS de nouvelle génération, télémétrie temps réel), et une maintenabilité pensée dès la conception : accès facilités, remplacement “on-wing” de sous-ensembles, et allongement des intervalles de visite.

La feuille de route et ses jalons

Le démonstrateur est attendu au début des années 2030, avec des essais au banc sur modules (compresseur HP, turbine HP, combustion) puis un couplage sur chaîne propulsive complète (power-pack : moteur + transmission d’accessoires + logique d’hybridation). L’entrée en service autour de 2040 synchronise la disponibilité moteur avec celle des hélicoptères de nouvelle génération, notamment dans le cadre NGRC (NATO Next Generation Rotorcraft Capability) et ENGRT (European Next-Generation Rotorcraft Technologies).

Ce phasage ménage des marges pour qualifier : résistance aux FOD, performance hot & high, comportement one-engine inoperative (OEI), et support multi-missions (assaut, transport, SAR/CSAR). Autant d’exigences qui structurent les profils de puissance (décollage, continu, urgence, 30 min/2 min OEI) — dimensions critiques de tout moteur d’hélicoptère militaire.

Les bénéfices opérationnels attendus pour les forces

Pour un opérateur étatique, chaque pourcentage de rendement gagné se traduit en kilogrammes de carburant économisés, donc en rayon d’action accru ou en charge offerte supplémentaire. Sur une mission de 2 h avec un appareil de 8 à 12 t, une réduction de consommation même modeste peut dégager des dizaines de kilomètres supplémentaires ou l’emport d’équipements additionnels (capteurs, kits d’auto-protection, treuils de sauvetage). En haute altitude et par fortes températures, l’excédent de couple offert par un moteur de nouvelle génération se traduit directement par une sécurité accrue au décollage et en stationnaire — un point décisif pour les missions de vol en hélicoptère en milieu alpin ou désertique.

Sur le plan de la disponibilité, la combinaison « architecture modulaire + HUMS avancé + hybridation » doit limiter les immobilisations et lisser les charges de maintenance. L’objectif final est un taux de disponibilité significativement supérieur aux flottes actuelles, avec une prévisibilité budgétaire renforcée pour les armées.

Les cas d’usage : du transport tactique au SAR

Le moteur est dimensionné pour une large famille de plateformes : transport tactique, missions d’évacuation médicale, recherche-sauvetage (SAR/CSAR), appui des forces spéciales, voire lutte contre-incendie selon les versions. La compatibilité SAF intéresse directement les opérateurs civils parapublics (gendarmerie, secours, garde-côtes) qui cherchent à décarboner leurs flottes sans rupture opérationnelle. À moyen terme, la boîte d’accessoires haute-puissance et l’hybridation pourraient également faciliter l’intégration de charges électriques (radars, brouilleurs, capteurs EO/IR) sans pénaliser le profil de mission.

Les enjeux de souveraineté et de chaîne d’approvisionnement

Au-delà des performances, ENGHE adresse un impératif stratégique : réduire la dépendance aux composants extra-européens et sécuriser les capacités de production, d’assemblage et de MCO sur le sol européen. La répartition équilibrée du travail, l’ancrage industriel dans plusieurs pays et la perspective d’une coopération élargie à d’autres partenaires européens répondent au besoin de résilience face aux tensions géopolitiques et aux risques de chaîne logistique.

Dans ce schéma, Airbus Helicopters joue un rôle déterminant côté intégration cellule-propulsion, définition des interfaces (entrées d’air, flux d’échappement, management thermique), qualification et support en service sur les futures plateformes. L’alignement étroit entre avionneur et motoriste constitue un facteur clé pour optimiser les performances système (consommation, vitesse de croisière, niveau vibratoire, bruit extérieur).

Les défis techniques à lever

Rester 100% compatible SAF tout en maximisant la durabilité des matériaux de chambre et turbines impose des traitements de surface et des superalliages de dernière génération. L’hybridation appelle, elle, une gestion fine de l’énergie : électronique de puissance durcie, refroidissement intégré, et logiciels de contrôle capables de piloter la répartition couple/électrique en temps réel sans dégrader la réponse transitoire du turboshaft.

La certification combinera exigences militaires et références civiles (éligibilité aux autorités européennes), avec des essais sévères : ingestion d’eau et de grêle, résistance au sable, cycles thermomécaniques intensifs, et démonstration de sécurité fonctionnelle de l’hybridation. Enfin, la compétitivité coût exigera des procédés industriels additifs et des chaînes numériques de bout en bout (jumeaux numériques, MRO prédictive).

La dynamique marché et les perspectives

À l’horizon 2040, plusieurs flottes européennes arriveront en mi-vie ou fin de potentiel, ouvrant des fenêtres de remotorisation ou de renouvellement. Un moteur d’hélicoptère moderne, frugal et compatible SAF, est un argument déterminant pour des plateformes multitâches, civiles et militaires. Les synergies entre besoins étatiques et marchés parapublics offriront des volumes suffisants pour amortir la montée en cadence et pérenniser l’investissement industriel.

Reste à affiner la puissance ciblée, sécuriser les financements EDF, et tenir le jalon démonstrateur au début des années 2030. La crédibilité de l’ensemble reposera sur la capacité des partenaires à verrouiller l’architecture dès les premières itérations, afin d’éviter une inflation de masse et de coûts. La proximité avec les avionneurs – Airbus Helicopters au premier chef – sera essentielle pour converger rapidement vers un couple cellule-moteur optimisé.

ENGHE installe l’Europe sur une trajectoire claire : performances accrues, empreinte carbone réduite grâce au SAF et à l’hybridation, souveraineté industrielle consolidée. Si le pari de l’efficience et de la fiabilité est tenu, c’est l’ensemble de l’écosystème du vol en hélicoptère en Europe – des forces armées aux opérateurs parapublics – qui bénéficiera d’une propulsion plus sûre, plus économique et mieux adaptée aux missions de demain.

HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.

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