L’US Army réduit sa flotte d’hélicoptères pour privilégier drones et modernisation, impactant sa stratégie de défense et les programmes à venir.
Une réorganisation dictée par les leçons de la guerre moderne
En février 2024, l’US Army a annoncé une réduction significative de sa flotte d’hélicoptères, marquant un tournant stratégique dans sa stratégie de défense. Cette décision, officialisée par le secrétaire de l’Armée Christine Wormuth et le général Randy George, chef d’état-major, s’inscrit dans une refonte globale visant à adapter l’US Army aux réalités des conflits modernes. Influencée par les observations du conflit en Ukraine, où les drones ont démontré une efficacité redoutable, l’US Army réoriente ses priorités vers des systèmes non pilotés et des plateformes modernisées. Cette restructuration touche environ 2 000 postes dans les unités d’aviation, incluant la suppression d’un escadron de cavalerie aérienne par brigade d’aviation de combat et la dissolution d’unités d’hélicoptères de réserve.
Le 8 février 2024, l’US Army a également mis fin au programme Future Attack Reconnaissance Aircraft (FARA), après un investissement de 2 milliards de dollars (1,86 milliard d’euros). Ce programme, lancé en 2018 pour remplacer les OH-58 Kiowa Warrior, visait à développer un hélicoptère de reconnaissance armé. Sa cancellation reflète un changement de paradigme, privilégiant les drones pour les missions de reconnaissance. Cette décision libère des fonds pour des investissements dans les UH-60M Black Hawk, les CH-47F Block II Chinook et le programme Future Long-Range Assault Aircraft (FLRAA).
Les raisons d’une réduction stratégique
La réduction de la flotte d’hélicoptères répond à plusieurs impératifs. Premièrement, les leçons tirées de la guerre en Ukraine ont révélé la vulnérabilité des hélicoptères face aux défenses anti-aériennes modernes et aux drones à bas coût. Le général Randy George a souligné que les capteurs et armes montés sur des systèmes non pilotés sont devenus « plus omniprésents, à longue portée et économiques ». En Ukraine, les pertes importantes d’hélicoptères russes, notamment des Mi-24 Hind, ont mis en lumière cette réalité.
Deuxièmement, les contraintes budgétaires jouent un rôle clé. Avec un budget annuel pour le développement et l’acquisition d’aéronefs d’environ 2,8 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros) en 2022, l’US Army ne peut moderniser simultanément tous ses programmes. La fin du programme FARA, initialement prévu pour coûter 5 milliards de dollars (4,65 milliards d’euros) supplémentaires sur cinq ans, permet de réallouer ces fonds à des priorités jugées plus pertinentes. Enfin, l’US Army cherche à maintenir une flotte durable en prolongeant la production des UH-60M Black Hawk et en lançant la production du CH-47F Block II Chinook.
L’impact sur les programmes de modernisation
La modernisation de l’aviation militaire reste une priorité pour l’US Army, malgré la réduction de sa flotte d’hélicoptères. Le programme Future Long-Range Assault Aircraft (FLRAA), qui vise à remplacer les UH-60 Black Hawk à partir de 2030, demeure intact. En décembre 2022, Bell Textron a remporté ce contrat avec son V-280 Valor, un aéronef à rotors basculants capable de parcourir 4 520 km (2 440 milles nautiques) sans ravitaillement. Ce programme, estimé à 7 milliards de dollars (6,51 milliards d’euros) pour la phase de développement, pourrait atteindre 70 milliards de dollars (65,1 milliards d’euros) sur l’ensemble de sa durée, incluant des ventes internationales potentielles.
L’US Army investit également dans le Improved Turbine Engine Program (ITEP), qui développe le moteur T901 de GE Aerospace. Ce moteur, offrant 50 % de puissance supplémentaire et 25 % d’efficacité énergétique accrue, équipera à terme les UH-60 Black Hawk et AH-64 Apache. Cependant, des retards dans sa livraison, initialement prévue pour 2022, ont repoussé son intégration à 2025. Par ailleurs, la production des UH-60V Black Hawk, une variante modernisée avec un cockpit numérique, a été stoppée en 2025 en raison de coûts excessifs, estimés à 10 000 dollars (9 300 euros) par heure de vol pour le modèle précédent.
Une transition vers les drones et l’intelligence artificielle
La réduction de la flotte d’hélicoptères s’accompagne d’un virage vers les systèmes non pilotés. L’US Army prévoit de déployer des essaims de drones et des systèmes de contre-drones d’ici 2027, intégrés jusqu’au niveau des compagnies. Les MQ-1C Gray Eagle et les drones Shadow et Raven seront progressivement retirés, jugés obsolètes face aux nouvelles menaces. Le programme Future Tactical Unmanned Aircraft System (FTUAS), en phase finale de développement en 2024, vise à sélectionner un nouveau drone tactique parmi cinq candidats, avec un contrat de production prévu pour 2024. Ces drones assureront des missions de reconnaissance, de surveillance et de brouillage électronique, réduisant ainsi la dépendance aux hélicoptères pour ces rôles.
En parallèle, l’US Army intègre l’intelligence artificielle pour optimiser ses opérations. Des nœuds de commandement assistés par IA seront déployés pour coordonner les essaims de drones et améliorer la prise de décision en temps réel. Cette transition reflète une vision où 90 % des aéronefs actuels (pilotés) passeront à une proportion inversée, avec 90 % de drones d’ici les années 2030.
Les répercussions sur la stratégie de défense
La réduction de la flotte d’hélicoptères pourrait avoir des implications significatives pour la stratégie de défense américaine. Les hélicoptères, comme les UH-60 Black Hawk, jouent un rôle crucial dans le transport de troupes, les évacuations sanitaires et les missions de soutien logistique. Leur diminution pourrait limiter la capacité de projection rapide dans des environnements comme l’Indo-Pacifique, où la stratégie de défense met l’accent sur la mobilité face à des adversaires comme la Chine. Le général James Rainey, commandant de l’Army Futures Command, a toutefois insisté sur le fait que les hélicoptères resteront essentiels pour le transport, avec une flotte de UH-60 prévue pour opérer jusqu’en 2070.
La suppression d’un escadron par brigade et la dissolution d’unités de réserve pourraient également affecter les capacités de la Garde nationale, notamment pour des missions civiles comme le secours en cas de catastrophe. Cependant, des experts comme Jonathan Gertler notent que le Congrès protège traditionnellement la Garde nationale, ce qui pourrait limiter l’ampleur des coupes dans ces unités.
Les défis industriels et budgétaires
La réduction de la flotte d’hélicoptères et l’arrêt de programmes comme FARA ont des répercussions sur l’industrie de défense. Lockheed Martin-Sikorsky et Bell Textron, qui avaient investi dans les prototypes Raider X et 360 Invictus, perdent un contrat potentiel de 5 milliards de dollars (4,65 milliards d’euros). Cependant, des contrats pluriannuels pour les UH-60M Black Hawk et la production du CH-47F Block II Chinook offrent une stabilité à l’industrie. Boeing, en particulier, bénéficie de la reprise de la production du Chinook, initialement freinée en 2018 pour financer FARA.
Les contraintes budgétaires restent un défi majeur. Avec une baisse de 40 % du budget d’achat de l’aviation entre 2018 et 2021, l’US Army doit jongler entre modernisation et maintien des capacités existantes. La stratégie de défense privilégie désormais les munitions de précision à longue portée et les défenses anti-missiles, obligeant à des arbitrages difficiles.

Une aviation militaire à l’aube d’une nouvelle ère
La réduction de la flotte d’hélicoptères de l’US Army marque un virage audacieux vers une aviation militaire plus technologique et moins dépendante des aéronefs pilotés. En misant sur les drones, l’intelligence artificielle et des programmes comme FLRAA, l’US Army cherche à anticiper les conflits de demain. Cependant, cette transition soulève des questions sur la capacité à maintenir une force de projection robuste face à des menaces croissantes. L’équilibre entre innovation et préservation des capacités traditionnelles sera crucial pour garantir que la stratégie de défense américaine reste efficace dans un environnement géopolitique en rapide évolution.
HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.