En Chine, AutoFlight dévoile un vertiport aquatique zéro carbone pour eVTOL, première pièce d’une mobilité mer-air durable sur lacs, fleuves et zones côtières.
Le constructeur chinois AutoFlight franchit une étape symbolique de la mobilité à basse altitude avec la présentation, le 22 novembre, d’un vertiport aquatique zéro carbone dédié aux eVTOL. Cette plateforme flottante sert à la fois de zone de décollage et d’atterrissage, de centre d’opérations et de station de recharge, grâce à des panneaux photovoltaïques et à un système de stockage d’énergie intégré. Compatible avec les principaux appareils de la marque – le drone industriel White Shark, le cargo lourd CarryAll et l’eVTOL passagers Prosperity – le dispositif s’inscrit dans la stratégie chinoise de développement de la Low Altitude Economy, un marché appelé à peser plusieurs milliers de milliards de yuans d’ici 2035. Testée sur le lac Dianshan à Kunshan, cette infrastructure flottante vise des usages très concrets : maintenance d’éoliennes offshore, secours en mer, navettes côtières rapides ou encore tourisme aérien. Elle préfigure aussi des applications possibles pour des hélicoptères hybrides, capables d’exploiter des vertiports zéro émission sans construire de nouvelles infrastructures à terre.
Le pari d’AutoFlight sur la mobilité mer-air
En dévoilant son vertiport zéro carbone installé sur l’eau, AutoFlight ne présente pas un simple concept marketing. L’entreprise s’inscrit dans une stratégie industrielle claire : faire passer la mobilité à basse altitude du stade expérimental à des opérations réelles sur lacs, fleuves et zones côtières chinoises. Le vertiport est pensé comme une brique d’infrastructure, pas comme un démonstrateur isolé.
AutoFlight dispose déjà d’un portefeuille d’aéronefs électriques crédible. Le drone White Shark affiche un plafond opérationnel de 5 000 m, une charge utile de 20 kg, une endurance de 6 heures et un rayon d’action de 500 km, ce qui le positionne sur les missions de surveillance et d’inspection longue durée. Le cargo CarryAll, premier eVTOL de 2 tonnes à recevoir une triple certification (type, production et navigabilité), a démontré en 2025 sa capacité à assurer une rotation de plus de 300 km aller-retour pour ravitailler une plateforme pétrolière située à 150 km au large.
Côté transport de passagers, Prosperity (version V2000EM) incarne la vision de mobilité urbaine aérienne d’AutoFlight, avec une masse maximale au décollage d’environ 2 200 kg, une autonomie de 250 km et une vitesse de croisière proche de 200 km/h, pour quatre passagers plus un pilote. Ces chiffres permettent d’envisager des liaisons interurbaines courtes ou des liaisons côtières rapides, là où la route ou le ferry restent lents ou congestionnés.
Dans ce contexte, le vertiport flottant n’est pas une fin en soi : il vient donner de la cohérence à une flotte déjà capable, en offrant une infrastructure mobile qui suit les besoins – plateformes offshore, parcs éoliens, terminaux portuaires, îles touristiques.
Le vertiport aquatique zéro carbone, un démonstrateur industriel
Le choix d’une infrastructure flottante et modulaire
Le vertiport dévoilé par AutoFlight est conçu comme une plateforme flottante, ancrée sur plan d’eau, qui concentre les fonctions essentielles d’un aéroport à très petite échelle : zone d’appontage, centre opérations, stockage énergétique et communications. L’élément clé est la réduction maximale des travaux à terre. La structure est prête à être remorquée et installée sur un lac, une rivière large ou en zone côtière, sans procédures lourdes d’expropriation, de terrassement ou de construction de bâtiments.
Cette approche répond à un problème récurrent de la mobilité urbaine aérienne : les vertiports. Dans les grandes villes, chaque mètre carré est disputé, et les projets d’héliports ou de vertiports se heurtent souvent à des contraintes foncières, réglementaires et politiques. En exploitant des surfaces aquatiques déjà utilisées pour la navigation ou l’industrie, AutoFlight contourne une partie de ces blocages. La plateforme peut aussi être déplacée en fonction de la demande : saison touristique, travaux sur un parc éolien, nouvelles lignes de navette.
Sur le plan opérationnel, la modularité est tout aussi stratégique. Il est possible d’imaginer, à terme, des variantes plus compactes pour un seul point de pose ou, au contraire, des barges plus longues accueillant plusieurs positions de stationnement, un hangar, voire un petit terminal pour passagers.
Les briques technologiques du vertiport
Techniquement, le vertiport est présenté comme une solution zéro carbone grâce à un mix photovoltaïque + stockage. Des panneaux solaires installés sur la structure alimentent des batteries dimensionnées pour assurer la recharge des eVTOL, la gestion des systèmes de communication et l’alimentation des équipements de contrôle. AutoFlight met en avant le rôle de CATL, géant chinois de la batterie, comme partenaire pour les systèmes de stockage haute performance et les architectures de sécurité énergétique.
Le vertiport intègre plusieurs sous-systèmes essentiels :
- un ou plusieurs ponts d’envol pour décollage et atterrissage vertical ;
- un module de gestion de trafic local, avec communications air-sol et liaison avec les centres de contrôle régionaux ;
- un système d’ordonnancement intelligent, capable d’optimiser les rotations entre appareils cargo, appareils de secours et eVTOL passagers ;
- une zone technique pour les inspections rapides et le changement éventuel de modules de batterie.
L’objectif est de pouvoir déployer le vertiport en quelques jours seulement, là où une infrastructure à terre nécessiterait des mois de travaux. Dans les démonstrations réalisées à Kunshan, sur le lac Dianshan, AutoFlight a montré qu’un eVTOL de 2 tonnes pouvait décoller, mener des opérations de démonstration – formation en vol, largage de charges d’urgence – puis revenir se poser sur la structure en moins de 20 minutes de séquence globale.
Les cas d’usage ciblés par la solution mer-air
Les opérations offshore, l’énergie et le secours
Le premier marché visé est celui des opérations offshore, où AutoFlight a déjà un retour d’expérience avec CarryAll. L’association d’un vertiport flottant et d’eVTOL cargo permet de réduire drastiquement les temps de trajet vers les plateformes pétrolières et gazières ou les parcs éoliens en mer. Dans une démonstration précédente, un vol de 150 km vers une plateforme pétrolière a été réalisé en moins d’une heure, là où un navire logistique met plusieurs heures et reste dépendant de l’état de la mer.
Les vertiports aquatiques peuvent être positionnés à proximité des zones d’exploitation, voire au cœur des champs d’éoliennes, pour servir de mini-hub logistique. Un eVTOL cargo décolle du vertiport, dépose du matériel ou du personnel sur une turbine, puis revient se poser pour recharger. La réduction des délais logistiques améliore la disponibilité des installations et limite les pertes de production.
Autre cas d’usage prioritaire : le secours en mer et sur les grands lacs. Les scénarios présentés à Kunshan incluent la combinaison d’un drone de recherche à long rayon d’action, capable de balayer une zone de 500 km de rayon, et d’eVTOL configurés pour le sauvetage, qui réalisent des largages de matériel ou des évacuations sanitaires. Les premiers tests suggèrent une réduction de plus de 50 % des temps de réponse par rapport à des moyens exclusivement maritimes, avec un impact direct sur les chances de survie lors d’accidents en mer.
Les services de transport côtier et de tourisme aérien
Le deuxième axe est celui du transport de passagers. Avec une autonomie de 250 km et une vitesse de croisière de 200 km/h, un eVTOL comme Prosperity peut transformer une traversée maritime de 50 km, souvent longue et soumise aux aléas météo, en un vol d’environ 15 à 20 minutes. AutoFlight évoque des tarifs cibles de l’ordre de 300 yuans (environ 42 euros) pour ce type de liaison, ce qui place ces services au-dessus du ferry en coût, mais avec un gain de temps significatif pour les voyageurs à haute valeur du temps.
Les vertiports aquatiques permettent aussi de cibler le tourisme premium. Un circuit mer-air peut par exemple combiner une croisière côtière et un survol panoramique de sites insulaires, avec embarquement directement depuis un vertiport mouillé dans une baie. La dimension zéro carbone devient alors un argument commercial à part entière pour des clientèles soucieuses de l’empreinte environnementale de leurs activités.
Pour les autorités locales, l’intérêt est double : valoriser les plans d’eau comme actifs de mobilité et éviter les conflits d’usage du sol dans des zones déjà denses. Dans certaines configurations, un vertiport flottant pourra même être combiné à un terminal fluvial ou à un port de ferries, créant des hubs multimodaux mer-air-route.
Les conséquences pour la Low Altitude Economy chinoise
La Chine investit massivement dans la Low Altitude Economy, désormais identifiée comme secteur stratégique dans les documents de planification économique. L’administration de l’aviation civile estime ce marché à environ 1 500 milliards de yuans à horizon 2025, avec un potentiel dépassant 3 500 milliards de yuans en 2035. Plusieurs grandes villes, comme Shenzhen, prévoient la création de plus de 1 200 points de décollage et d’atterrissage d’ici 2026 pour les drones, eVTOL et autres aéronefs légers.
Dans ce contexte, le vertiport aquatique d’AutoFlight sert aussi de vitrine géopolitique et industrielle. Il montre qu’un constructeur chinois n’apporte pas seulement des appareils, mais un écosystème complet : aéronefs, batteries, logiciels, infrastructures. Cette intégration verticale renforce la position de la Chine face aux acteurs américains et européens, qui dépendent encore largement de partenariats avec des spécialistes de l’infrastructure et des opérateurs existants.
Le signal envoyé au marché est clair : l’eVTOL n’est plus seulement un prototype de salon aéronautique. Il s’inscrit dans des chaînes logistiques réelles, avec des clients – offshore, collectivités locales, opérateurs de secours – prêts à tester des solutions concrètes. AutoFlight indique d’ailleurs avoir déjà livré une première série de systèmes à des « early clients », sans encore en dévoiler tous les détails.
Pour les concurrents, la barre se relève : il ne suffit plus de promettre des taxis volants, il faut montrer des plateformes opérationnelles, capables d’être multipliées et interconnectées à grande échelle.
Les enjeux pour les hélicoptères hybrides et l’export
Même si le projet est conçu d’abord pour les eVTOL, la logique d’un vertiport flottant zéro carbone est transposable à d’autres types d’aéronefs, notamment les hélicoptères hybrides de nouvelle génération. Un appareil hybride-électrique pourrait utiliser la même plateforme, en s’appuyant sur le photovoltaïque et le stockage pour alimenter sa partie électrique, tout en conservant un moteur thermique pour les phases longues ou les conditions mauvaises.
Pour les opérateurs déjà présents sur l’offshore avec des hélicoptères conventionnels, ces vertiports aquatiques pourraient devenir des relais avancés. Ils permettraient d’alléger la charge sur les bases côtières, de rapprocher les points de départ des zones d’opération et, à terme, de basculer progressivement d’une flotte 100 % kérosène à une flotte mixte, puis entièrement électrique. Rien n’empêche d’imaginer, à moyen terme, un vertiport mixte accueillant à la fois des eVTOL, des hélicoptères hybrides et des drones lourds.
Sur le plan export, l’approche mer-air intéressera des marchés qui combinent forte activité littorale et ambition climatique : Moyen-Orient, Asie du Sud-Est, Europe du Nord. Dans ces régions, la capacité d’installer un vertiport sans bétonner un nouveau front de mer, tout en affichant une infrastructure alimentée par le solaire, est un argument puissant face aux opinions publiques et aux régulateurs.
Plutôt qu’un simple gadget, le vertiport aquatique d’AutoFlight ressemble donc à un prototype de standard. Il ne résout pas toutes les questions – certification des infrastructures, gestion du trafic de masse, acceptabilité sociale du trafic aérien bas-niveau – mais il trace une voie très concrète : utiliser l’eau comme terrain d’expansion pour une aviation électrique qui manque cruellement de place au sol.
HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.
