Comprendre la réglementation des eVTOLs en Europe, le rôle de l’EASA, les tests par pays et les freins avant l’arrivée des taxis aériens électriques.
Les eVTOLs, ces aéronefs électriques à décollage et atterrissage verticaux, ne sont plus un simple concept. En Europe, la réglementation des eVTOLs en Europe s’organise autour de l’EASA, qui a créé une catégorie spécifique de « VTOL capable aircraft » avec une norme européenne pour les aéronefs eVTOL (SC-VTOL) et des séries de « Means of Compliance » régulièrement mises à jour. Cette architecture réglementaire encadre à la fois la conception, la certification, l’exploitation commerciale et l’intégration dans l’espace aérien bas, via notamment le paquet U-space (règlement (UE) 2021/664 et textes associés). Pourtant, aucun eVTOL de transport de passagers n’est encore certifié en Europe fin 2025, alors qu’en Chine, l’EHang EH216-S dispose déjà d’un certificat de type et de production pour des opérations commerciales. Les premiers services européens devraient apparaître au mieux entre 2026 et 2030, sous forme de lignes pilotes très encadrées. Entre ambitions industrielles, prudence réglementaire et concurrence américaine et chinoise, la politique européenne pour la mobilité aérienne urbaine cherche un équilibre délicat entre innovation et sécurité.
Le nouveau paysage d’une mobilité aérienne urbaine très encadrée
Les eVTOLs s’inscrivent au croisement de plusieurs politiques publiques : décarbonation du transport, désaturation des villes, innovation industrielle et souveraineté technologique. L’Union européenne a fait de la politique européenne pour la mobilité aérienne urbaine (UAM puis AAM) un volet de sa « Sustainable and Smart Mobility Strategy », avec un horizon 2030 pour les premières applications à échelle significative.
Distincts des hélicoptères classiques, ces appareils combinent propulsion électrique, multiples rotors, forte redondance des systèmes et automatisation poussée. Ils visent des missions typiques de 20 à 50 kilomètres, à basse altitude (souvent sous 500 mètres), avec des vitesses de croisière autour de 150 à 250 km/h. Leur promesse repose sur trois piliers : réduction des émissions locales, baisse du bruit par rapport aux hélicoptères, et coûts d’exploitation potentiellement plus faibles une fois les volumes atteints.
Mais cette promesse bouscule le cadre existant. Ni les règles des avions, ni celles des hélicoptères ne sont parfaitement adaptées à des machines à mi-chemin entre drone et appareil piloté. D’où la nécessité, en Europe, d’une législation européenne sur les eVTOLs spécifique, pilotée par l’EASA, qui est devenue un élément stratégique de la compétitivité de l’industrie européenne face aux États-Unis et à la Chine.
Le cadre EASA : une norme VTOL dédiée aux eVTOLs
La naissance d’une catégorie « VTOL capable aircraft »
Dès 2019, l’EASA publie la « Special Condition for small-category VTOL aircraft » (SC-VTOL), premier texte au monde entièrement dédié aux eVTOLs. Cette réglementation aérienne pour les eVTOLs fixe les exigences de navigabilité : intégrité des systèmes, tolérance aux pannes, performance au décollage et à l’atterrissage, résistance aux rafales de vent, évacuation des passagers, etc.
Depuis, la SC-VTOL a évolué (Issue 2), avec plusieurs séries de « Means of Compliance » (MOC-1 à MOC-5). Ces documents détaillent les méthodes acceptées pour démontrer la conformité : essais en vol, simulations, redondance électrique, gestion des défaillances simples (« single failure criteria »), usage des batteries lithium, protection incendie, etc. La cinquième vague de MOC publiée en 2025 confirme un cadre désormais très complet, mais encore en mouvement.
La certification des eVTOLs en Europe ne se résume donc pas à un simple copier-coller des standards hélicoptère. L’EASA a choisi un niveau de sécurité aligné sur l’aviation commerciale, avec des exigences équivalentes à celles des avions de transport régional. Pour les industriels, c’est un gage de crédibilité internationale… mais aussi un coût de développement considérable.
La certification des appareils eVTOL par l’EASA
Concrètement, la certification des appareils eVTOL par l’EASA suit plusieurs étapes :
- reconnaissance de l’organisation de conception (Design Organisation Approval) ;
- accord sur la base de certification (SC-VTOL + conditions spécifiques) ;
- essais au sol et en vol, démonstrations de sécurité, analyse des risques ;
- audits sur la production (Production Organisation Approval) ;
- enfin, délivrance du certificat de type.
Des acteurs comme Volocopter et Lilium ont déjà franchi plusieurs de ces jalons. Volocopter a obtenu une extension de POA pour produire son VoloCity en Allemagne, tout en avançant sur la certification de type. Lilium, de son côté, a obtenu l’agrément d’organisation de conception et vise une entrée en service autour de 2026, avec une flotte de prototypes planifiée pour environ 900 heures d’essais en vol.
Pourtant, fin 2025, aucun eVTOL de transport de passagers n’a encore décroché de certificat de type européen. Cela explique que les projets de vols commerciaux durant les Jeux olympiques de Paris 2024 aient été limités à des essais, la certification des moteurs n’ayant pas été finalisée.
La gestion de l’espace bas : U-space et vols urbains
Les eVTOLs n’évolueront pas dans un vide réglementaire au-dessus des villes. La réglementation des vols urbains en eVTOL s’insère dans le cadre plus large de l’U-space, créé par le règlement (UE) 2021/664 et ses textes associés, qui fixent les règles pour la gestion de l’espace aérien destiné aux drones et futurs aéronefs automatisés à basse altitude.
U-space prévoit des services numériques obligatoires :
- gestion du trafic et de la séparation ;
- identification électronique des appareils ;
- géorepérage (zones interdites ou restreintes) ;
- gestion dynamique de l’espace, notamment en cas d’urgence.
Même si les premiers eVTOLs de transport de passagers seront pilotés, ils devront cohabiter avec des drones logistiques, des hélicoptères, et à terme des eVTOLs autonomes. L’objectif est clair : éviter de créer un « Far West » aérien bas, en imposant dès le départ des règles de connectivité, de surveillance et de séparation.
EASA indique désormais que l’Urban Air Mobility devrait devenir réalité en Europe « dans les 3 à 5 ans », avec d’abord des opérations pilotées, puis des services plus automatisés après 2030. Cela donne une fenêtre réaliste : premières lignes commerciales très limitées avant 2030, montée en puissance ensuite, sous réserve que les questions de bruit, de survol des zones denses et de vertiports soient maîtrisées.
Les spécificités nationales et les premiers terrains d’essais
La France et le cas emblématique de Paris
Sur le papier, la régulation des taxis aériens électriques en Europe est largement harmonisée. Mais la mise en œuvre reste nationale. En France, la DGAC a servi de laboratoire avec le projet parisien de taxis aériens pour 2024. Des corridors expérimentaux ont été définis autour de Saint-Cyr-l’École et de quelques sites potentiels de vertiports, avec des vols de tests encadrés.
Dans les faits, l’absence de certification complète des appareils et de leurs systèmes de propulsion a conduit à renoncer aux vols commerciaux pendant les Jeux, au profit d’essais de démonstration. Cette séquence illustre bien la réalité de la réglementation des eVTOLs en Europe : les autorités acceptent des campagnes de tests, mais refusent de précipiter l’ouverture au public tant que tous les critères de sécurité ne sont pas remplis.
D’autres villes françaises, comme Bordeaux ou Nice, observent attentivement ces expérimentations, mais restent pour l’instant dans une posture d’étude. Les enjeux locaux – survol de zones denses, nuisances sonores, acceptabilité sociale – conditionneront l’émergence de corridors dédiés.
L’Italie, l’Allemagne et les autres écosystèmes pilotes
L’Italie s’est dotée d’une feuille de route AAM détaillée, sous l’égide d’ENAC, avec l’objectif de créer un écosystème national de mobilité aérienne avancée : vertiports, intégration multimodale, communication auprès du public. Rome et la région de Fiumicino ont été identifiées comme sites privilégiés pour des démonstrations de taxis aériens électriques en lien avec les aéroports.
L’Allemagne, de son côté, est au cœur du jeu industriel, avec Volocopter, Lilium, mais aussi l’implication d’Airbus dans CityAirbus NextGen. Cependant, les difficultés financières de Volocopter et Lilium – insolvabilité, recapitalisations, reprise de Volocopter par Diamond Aircraft – montrent que la solidité réglementaire ne garantit pas la viabilité économique.
D’autres États comme l’Espagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni – bien que hors UE mais très coordonné avec l’EASA – multiplient les projets de démonstration, souvent autour d’aéroports ou de zones portuaires, avec une forte dimension de vitrine technologique.
Les contraintes techniques, opérationnelles et sociétales
Si la norme européenne pour les aéronefs eVTOL est en place, plusieurs freins retardent encore la mise en service réelle.
D’abord, la technologie. Les batteries actuelles plafonnent autour de 250 à 300 Wh/kg en usage aéronautique. Cela limite l’autonomie effective des eVTOLs à des vols de 15 à 30 minutes avec marges réglementaires, soit des distances de 25 à 50 kilomètres. Toute dégradation des conditions météo – vent fort, froid, pluie – vient rogner ces marges, ce qui complique la planification d’un service fiable.
Ensuite, l’infrastructure. Chaque vertiport doit respecter des exigences de sécurité au sol, de résistance structurelle, de gestion incendie, mais aussi d’intégration urbaine et électrique (alimentation haute puissance, temps de recharge, redondance). La sécurité opérationnelle des eVTOLs en Europe ne se joue pas seulement en vol : elle dépend aussi de la qualité de ces installations.
Troisième frein : l’acceptabilité sociale. Les études de perception montrent un intérêt pour les eVTOLs, mais aussi des inquiétudes liées au bruit, à la sécurité en cas de crash en zone urbaine dense, ou à la dimension « élitiste » d’un service touristico-affaires. La politique européenne pour la mobilité aérienne urbaine insiste sur l’intégration dans des réseaux de transport publics existants, pour éviter de créer un symbole de fracture sociale.
Enfin, le modèle économique reste fragile. Les projections de coûts par siège-kilomètre supposent des taux de remplissage élevés, des cadences de vol importantes et des durées de vie batterie ambitieuses. Dans ce contexte, la prudence d’EASA, avec une réglementation des eVTOLs en Europe exigeante, protège le passager mais ralentit le retour sur investissement.
Les acteurs européens face aux concurrents américains et chinois
L’Europe se trouve dans une position paradoxale. Sur le plan réglementaire, la législation européenne sur les eVTOLs est souvent citée comme l’une des plus avancées au monde, notamment grâce à la SC-VTOL et à l’architecture U-space. Sur le plan industriel, le paysage est plus contrasté.
Volocopter, Lilium, Vertical Aerospace, ou encore des acteurs comme Airbus, Ascendance Flight Technologies ou d’autres start-up régionales, développent des concepts variés : multicoptères urbains, appareils à ailes basculantes, eVTOLs orientés liaisons régionales. Mais la plupart sont en quête permanente de financement et ajustent leurs calendriers. Vertical vise désormais une certification autour de 2028 et des livraisons vers 2030 pour son VX4, en coordination étroite entre la CAA britannique et l’EASA.
Aux États-Unis, la FAA a tardé à stabiliser sa propre approche (passage d’un modèle « Part 23/27 » à une logique de « powered-lift »), mais les programmes comme Joby ou Archer avancent avec un soutien financier massif. La coordination FAA/EASA s’est néanmoins renforcée, avec des orientations communes sur la sécurité des eVTOLs.
La Chine, elle, a pris une longueur d’avance réglementaire sur un segment précis : les eVTOLs autonomes de petite capacité. L’EHang EH216-S a obtenu un certificat de type et un certificat de production de la CAAC, ouvrant la voie à des opérations commerciales pilotes, soutenues par des démonstrateurs en Asie mais aussi par un centre de mobilité aérienne en Europe.
La comparaison implicite est claire : l’Europe impose un niveau de sécurité très proche de l’aviation commerciale classique, ce qui retarde l’entrée en service, mais vise un standard exportable et reconnu mondialement. Les États-Unis misent sur la puissance financière et la flexibilité du marché, la Chine sur la rapidité de déploiement dans un cadre plus centralisé.
Où et quand verra-t-on les eVTOLs dans le ciel européen ?
EASA indique désormais, de manière relativement constante, que les premières opérations commerciales pilotées pourraient apparaître autour de la seconde moitié des années 2020, avec une montée en puissance progressive jusqu’en 2030.
En pratique, plusieurs jalons se dessinent :
- des démonstrations ponctuelles et vols d’essais publics, comme ceux menés près de Paris en 2024 ;
- des lignes pilotes entre aéroports et pôles d’affaires, à faible densité de trafic, dans des villes comme Rome, Munich ou Londres ;
- des déploiements plus structurés à partir de l’instant où un ou deux modèles auront obtenu la certification des eVTOLs en Europe et où des vertiports opérationnels existeront.
Les prévisions raisonnables situent les premiers services commerciaux réguliers autour de 2026-2028 pour des liaisons très ciblées, avec un horizon 2030+ pour des réseaux vraiment significatifs. Il faut garder en tête que la réglementation des eVTOLs ne se limite pas aux appareils : elle doit englober formation des pilotes, procédures d’urgence, intégration avec les hélicoptères et aviation générale, ainsi que la coordination avec les autorités urbaines.
Dans ce contexte, la régulation des taxis aériens électriques en Europe sera un facteur décisif pour la compétitivité des industriels européens. Une réglementation trop rigide ferait basculer le centre de gravité vers l’Asie ou l’Amérique du Nord ; une réglementation trop souple fragiliserait la confiance du public en cas d’incident majeur.
Une course réglementaire qui dessine le marché de demain
Au-delà de la technicité des textes, ce qui se joue derrière la réglementation des eVTOLs en Europe, c’est la capacité du continent à créer un écosystème crédible de mobilité aérienne urbaine, exportable et durable. L’EASA a pris une position ambitieuse en fixant des standards élevés de sécurité et en structurant à la fois la certification des eVTOLs en Europe et la gestion de l’espace bas via l’U-space.
Reste à savoir si les industriels européens, confrontés à une concurrence américaine surfinancée et à une offensive chinoise très rapide, pourront tenir sur la durée. Les prochaines années seront déterminantes : la façon dont l’Europe appliquera la réglementation aérienne pour les eVTOLs, ajustera ses exigences sur les batteries, le bruit, les vertiports et la sécurité opérationnelle des eVTOLs en Europe décidera de la part réelle qu’elle prendra dans ce nouveau marché.
À ce stade, le ciel européen n’est pas encore rempli de taxis aériens électriques. Mais il est déjà très structuré sur le papier, et ce sont précisément ces lignes réglementaires, écrites aujourd’hui, qui traceront les futures routes de cette mobilité aérienne urbaine que l’on promet depuis des années.
Sources :
EASA – Special Condition VTOL (SC-VTOL) et Means of Compliance (MOC-1 à MOC-5), mise à jour 2023-2025.
EASA – Urban Air Mobility et U-space, règlement (UE) 2021/664 et documents AMC/GM.
EASA – Urban Air Mobility, estimations d’entrée en service UAM et AAM en Europe.
Volocopter – Communiqués sur la certification VoloCity, POA, essais à Paris et restructuration avec Diamond Aircraft.
Lilium – Communiqués sur l’agrément de conception, le calendrier de certification et les premières livraisons prévues pour 2026.
Vertical Aerospace – Informations sur le VX4, la certification conjointe CAA/EASA et les objectifs 2028-2030.
EHang – Communiqués sur le certificat de type et de production EH216-S, ainsi que sur les projets de déploiement et centres UAM.
Études et rapports sur l’Advanced Air Mobility (EASA, études indépendantes, feuilles de route nationales, notamment Italie et Royaume-Uni).
HELICOLAND est le spécialiste de l’hélicoptère.
